Vienne et le Danube : la fontaine de Pallas Athéna de Vienne

   Déambuler dans Vienne permet au regard du visiteur curieux et attentif de découvrir tout au long de paisibles promenades la présence de nombreuses statues, bas-reliefs, fontaines et monuments allégoriques dédiés au Danube, à ses affluents ou à d’autres rivières et fleuves européens ainsi qu’à leur cortège inséparable de déesses, dieux, nymphes, ondines, esprits des eaux et autres personnalités fluviales et aquatiques. Une présence qui anime le coeur de la ville comme le nom de la ville lui-même en témoigne. Aussi celui-ci ne peut-il s’empêcher de porter son regard lorsqu’il arrive dans le périmètre du Parlement autrichien, entièrement rénové depuis peu, sur la fontaine majestueuse de Pallas Athéna qui se trouve devant cet imposant bâtiment néo-grec1 construit pendant les années 1873-1883 sur les plans de l’architecte Theophil Hansen (1813-1891).2

   La construction de cette fontaine, conçue initialement par Theophil Hansen, n’a commencé qu’en 1898 suite à une controverse sur un premier projet qui fut rejeté. La fontaine est inaugurée en 1902. Les sculptures en marbre en provenance des carrières de Laa an der Thaya (Basse-Autriche) ont été réalisées par Carl Kundmann (1838-1919) pour Athéna, l’Elbe et la Moldau, celles du Danube et de l’Inn par Hugo Haerdtl (1846-1918) et les deux statues des pouvoirs législatif et exécutif par Josef Hermann Tautenhayn (1837-1911).

La fontaine de Pallas Athéna devant le Parlement autrichien, photo libre de droits

   Au centre de cette fontaine, debout sur une colonne antique, avec une lance dans la main gauche et la déesse de la victoire Niké dans la main droite se tient la déesse grecque de la sagesse Athéna.3 De part et d’autre du pied de la colonne sont assises sur des socles à la stabilité évidente, deux personnages féminins, allégories du pouvoir législatif et exécutif avec pour le pouvoir législatif à gauche un livre de loi à gauche et pour le pouvoir exécutif à droite, un glaive tenu de la main droite debout entre ses jambes .
   Quatre sculptures dominant deux bassins surélevés et se référant aux dieux ou demi-dieux de la mythologie grecques, enfants d’Okeanos et de Thétys4, son épouse et personnifiant les quatre principaux fleuves de l’Empire autrichien, reposent en dessous des allégories du pouvoir législatif et exécutif. Elles sont entourés de par et d’autre de chérubins ailés chevauchant des dauphins.
   Faisant face au boulevard du Ring qui ceinture le centre historique de Vienne, les deux premières statues, une déesse et un dieu, symbolisent le Danube (Die Donau) et son affluent l’Inn (Der Inn) tandis que de l’autre côté, leur tournant le dos, deux autres déesses, dont les regards semblent contempler le Parlement, représentent l’Elbe (Die Elbe) et la Moldau (Vltava).5

L’Inn (à gauche) qui tient l’amphore (!) d’où l’eau s’écoule et le fleuve Danube en déesse à la plastique irréprochable, photo droits réservés

   L’Inn apparaît sous la forme d’un dieu à demi allongé, aux cheveux et à la barbe abondants, en pleine force de l’âge, au corps puissant, musclé et dénudé jusqu’au bassin que couvre un large manteau. Il appuie son flanc gauche sur une amphore couchée de laquelle s’écoule de l’eau et qu’il tient de sa main. Son regard est tourné, par dessus son épaule, vers sa partenaire, die Donau (le Danube).  

Die Donau (Le Danube), une déesse sûre d’elle-même et confiante dans sa propre condition féminine

   Le fleuve impérial qui porte le genre féminin en langue allemande, cours d’eau le plus long de la monarchie autrichienne,  est ici symbolisé par une élégante déesse au torse et à la poitrine harmonieux et nus. On peut y percevoir une allusion à l’apothéose des courbes évoquant les nombreux méandres et bras secondaires du Danube . Une étoffe plissée s’enroule à la hauteur de son avant-bras gauche et recouvre une grande partie de sa jambe droite. La tête penchée et tournée vers l’Inn, sa main droite touchant son épaule dans un geste sensuel, elle semble rayonner de dynamisme, d’ouverture et de confiance en elle, jouant à l’évidence de par son attitude et son expression un rôle déterminant dans sa rencontre et son dialogue avec son partenaire, posture féministe à laquelle la plupart des femmes du XIXe ne pouvait encore accéder. 

Elbe und Moldau : une communauté sereine

Les allégories de l’Elbe et de la Moldau se tiennent quant à elle face au bâtiment du parlement autrichien. Elles sont sculptées sur le modèle des anciennes représentations de la déesse Aphrodite, protectrice de l’amour, de la beauté, du plaisir et de la procréation. La Moldau s’appuie sur l’épaule et le bras droit de l’Elbe, s’abandonnant à celle-ci dans une confiance absolue. Il émane des attitudes de ces deux sculptures se tenant par leurs mains reposant sur une amphore couchée d’où s’écoule également de l’eau en abondance et similaire à celle se trouvant au milieu de l’Inn et du Danube, une grâce et une tendresse féminine ainsi qu’un sentiment d’humeur paisible et joyeuse donnant l’impression d’une communauté familiale sereine et cultivée rêvée par les Habsbourg tout au long de leur règne.

 L’Elbe et la Moldau (Vltava), photo © Manfred Werner-Tsui, droits réservés

   On se trouve avec cette fontaine à contrario de la plupart des représentations allégoriques habituelles symbolisant le Danube  parmi lesquelles la statue du célèbre Danubius de la fontaine d’Albrecht (Albrechtsbrunnen) devant le palais de l’Albertina réalisée par Moritz von Loehr (1810-1874)et inaugurée en 1869, est un des exemples les plus flagrants d’expression de la puissance dominatrice que de nombreux sculpteurs ont souvent attribué, certes non sans raison, aux grands fleuves.

Le Danube et Vienne (Vindebona), fontaine d’Albrecht (Albrechtsbrunen), photo © Benoît Prieur – CC-BY-SA

   Ici l’intention des allégories fluviales de la fontaine de Pallas Athéna est avant tout de valoriser l’élément féminin, et à travers celui-ci, d’évoquer une atmosphère imprégnée d’amour pour la vie qu’engendre leur présence. Le message délivré insiste également sur la nécessité d’une unité intérieure et de cohésion des différents territoires traversés par les fleuves considérant ceux-ci comme les membres d’une même famille appartenant à la monarchie autrichienne.

Eric Baude, pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour mai 2023

Notes :
1 Le style néo-grec du bâtiment n’est pas sans rappeler le Walhalla, un monument à la gloire de la civilisation germanique édifié à la demande du roi Louis I
er de Bavière ( ) sur les plans de l’architecte Leo von Klenze (1784-1864) entre 1830 et 1842 et situé sur une colline de la rive gauche du Danube allemand, à la hauteur de la petite cité de Donaustauf. Ou encore le bâtiment de l’Assemblée Nationale (Palais-Bourbon) à Paris.
2 Theophil Edvard von Hansen, d’origine danoise, naturalisé autrichien et anobli par l’Empire des Habsbourg, fut l’un l’un des architectes les plus actifs de son temps dans la capitale autrichienne. Inspiré par l’architecture grecque de l’Antiquité et son séjour à Athènes, il est connu pour ses réalisations du Konzertverein, prestigieuse salle de concerts de l’Orchestre philharmonique de Vienne et également salle de bal à l’acoustique quasi idéale, de la bourse, de l’Académie des Beaux-arts, du Musée d’histoire militaire…
3 Le sculpteur a-t-il voulu consciemment que la déesse de la sagesse tourne le dos au parlement ? Certains Viennois en ont fait un sujet de plaisanterie, laissant entendre que  la sagesse n’était pas une vertu majeure du parlement autrichien…
4 Père de tous les fleuves et ainé des Titans, fils d’Ouranos (le ciel) et de Gaïa (la terre). Okeanis et Thétys donnèrent naissance à une très nombreuse descendance  ainsi qu’en témoignent Hésiode dans sa Théogonie :
« Téthys donna à l’Océan des Fleuves au cours sinueux, le Nil, l’Alphée, l’Éridan aux gouffres profonds, le Strymon, le Méandre, l’Ister [Le Danube] aux belles eaux, le Phase, le Rhésus, l’Achéloos aux flots argentés, le Nessus, le Rhodius, l’Haliacmon, l’Heptapore, le Granique, l’Ésépus, le divin Simoïs, le Pénée, l’Hermus, le Caïque aux ondes gracieuses, le large Sangarius, le Ladon, le Parthénius, l’Évènus, l’Ardesque et le divin Scamandre.
Téthys enfanta aussi la troupe sacrée de ces Nymphes qui, avec le roi Apollon et les Fleuves, élèvent sur la terre l’enfance des Héros ; c’est Zeus lui-même qui les chargea de cet emploi : Pitho, Admète, Ianthé, Électre, Doris, Prymno, Uranie semblable aux dieux, Hippo, Clymène, Rhodie, Callirhoë, Zeuxo, Clytie, Idye, Pasithoë, Plexaure, Galaxaure, l’aimable Dioné, Mélobosis, Thoë, la belle Polydore, Cercéis au doux caractère, Pluto aux grands yeux, Perséis, Ianire, Acaste, Zanthé, la gracieuse Pétréa, Ménestho, Europe, Métis, Eurynome, Télestho au voile de pourpre, Crisia, Asia, l’agréable Calypso, Eudore, Tyché, Amphiro, Ocyroë et Styx qui les surpasse toutes, telles sont les filles les plus antiques de l’Océan et de Téthys ; il en existe beaucoup d’autres encore, car trois mille Océanides aux pieds charmants, dispersées de toutes parts, habitent la terre et la profondeur des lacs, race illustre et divine ! Autant de Fleuves, nés de l’Océan et de la vénérable Téthys, roulent au loin leurs bruyantes ondes : il serait difficile à un mortel de rappeler tous leurs noms ; les peuples qui habitent leurs rivages peuvent seuls les connaître. »
Hésiode, Théogonie, traduction de l’abbé Bignan, 1841
5 La Moldau est le nom germanique pour désigner la Vltava, rivière désormais tchèque qui prend sa source dans la Forêt de Bohême (Šumava) et qui, après avoir traversé Prague, conflue avec l’Elbe en Bohême du Nord à la hauteur de la ville de Mělník.
6 Les allégories des affluents du Danube (Inn, Salzach, Enns, Traun, Morava, Mur, Raab, Tisza, Sava, Drava) sont de Johann Meixner (1819-1872). Les statues de l’Inn et de la Drava ont été installées dans le Burgarten. La Morava a quant à elle, disparu.

Bibliographie :
Renate Wagner-Rieger, (sous la direction de), « Die Wiener Ringstraße. Bild einer Epoche », in Die Erweiterung der Inneren Stadt Wien unter Kaiser Franz Joseph, Band 1, Steiner, Wiesbaden, 1969-1981

Renate Wagner-Rieger, (sous la direction de, « Die Wiener Ringstraße, Bild einer Epoche », in  Die Erweiterung der Inneren Stadt Wien unter Kaiser Franz Joseph, Band 4, Steiner, Wiesbaden, 1969-1981
Felix Czeike, Wien, « Kunst und Kultur-Lexikon », in Wien, Stadtführer und Handbuch, Süddeutscher Verlag, München, 1976,
Felix Czeike, Wien, « Innere Stadt, Kunst-und Kulturführer », Wien, Jugend und Volk, Dachs-Verlag, Wien 1993
Gerhardt Kapner, « Freiplastik in Wien », Wien, Jugend & Volk, Wien 1970
Justus Schmidt, Hans Tietze, Dehio, A. Schroll, Wien (Bundesdenkmalamt: Die Kunstdenkmäler Österreichs), 1954
Emmerich Schaffran, Wien, Ein Wegweiser durch seine Kunststätten, 1930
www.parlament.gv.at

Photo © Lilienfeld, droits réservés 

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