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« L’homme le plus libre du monde qui n’appartenait à ce monde que par des lieux imaginaires » (Pierre Mac Orlan)
Le peintre et dessinateur Jules Pascin, originaire de Vidin, ville bulgare et port fluvial de la rive méridionale du Danube, émigré à Paris en 1905, fut l’ami de nombreux artistes et écrivains de son époque comme Francis Carco, Paul Morand, Pierre-Mac Orlan dont il a illustré de nombreux livres, Man Ray, Léopold Levy, Georges Papazoff, André Salmon, Georges Braque, Foujita, Juan Gris, Max Jacob, Suzanne Valodon, Maurice de Vlaminck…
Malgré le fait que son nom ait été quelque peu oublié, Jules Pascin fait partie des très grands artistes de son époque.
Jules Pascin, de son vrai nom Julius Mordecaï Pincas, est né le 31 mars 1885 dans une famille de riches commerçants séfarades de Vidin. Il est le septième des neuf enfants. Son père exerce avec succès la profession de marchand en grain et représente l’empereur des Habsbourg dans sa ville en tant que consul d’Autriche. En conflit avec cet homme au caractère tyrannique qu’il dessine sous les traits de l’ogre du Petit Poucet, le jeune adolescent s’enfuie, séjourne et étudie à Bucarest, Budapest, Vienne, Berlin et Munich. Son grand talent de dessinateur lui permet de travailler pour la revue Simplicissimus, revue satirique bavaroise dirigé par Albert Langen (1869-1909) dont l’esprit n’est pas sans rappeler L’assiette au beurre.
Une grande partie de son oeuvre restera d’ailleurs toujours marquée par cette sensibilité, par une force de la satire et de la caricature féroce. Ses dessins aux traits épais, épurés, dans des tonalités claires, aquarellées soulignées de fusain, d’encre et de lavis, se rapprochent des mondes de la gravure sur bois ou de la lithographie. C’est une période où il rencontre des peintres qui donneront naissance à l’expressionnisme allemand et avec lesquels il parvient à trouver sa ligne et son style graphique exprimant une forte critique de la société de l’époque.
Pascin arrive par l’Orient express à Paris 1905, à la veille de Noël en espérant y faire carrière. Sa réputation de dessinateur l’a déjà précédé et c’est une vraie délégation de peintres et d’artistes au fait de son talent qui l’accueille et l’emmène immédiatement à Montparnasse.
Son travail de caricaturiste n’a pas cessé et il continue à envoyer toujours régulièrement des dessins à Simplicissimus qui lui permettent de bien gagner sa vie. Il noue aussi des liens avec l’avant-garde française, fait la connaissance de Foujita, Kisling, Soutine, Van Dongen, Derain, Diego Rivera mais aussi de Matisse, des artistes du mouvement du fauvisme et illustre les ouvrages d’amis poètes et écrivains comme Pierre Mac Orlan, Paul Morand ou André Salmon.
Jules Pascin est assimilé à l’École de Paris, selon l’expression du critique d’art André Warnod, école désignant l’ensemble des artistes étrangers arrivés avant les années 1920 dans la capitale française pour tenter de trouver des conditions plus favorables à l’expression de leur art tout en restant en marge des grands mouvements artistiques de l’avant-guerre, cubisme, fauvisme et futurisme. Ses sujets préférés demeureront tout au long de sa vie les représentations de scènes de la vie quotidienne, du corps féminin, peintures et dessins au caractère érotique.
Ses voyages et séjours en Angleterre, aux États-Unis, à New York avec la peintre Hermine David (1886-1970) pendant la première guerre mondiale (1914-1920) et à Cuba, lui permettent de réaliser de très nombreux croquis et aquarelles. L’érotisme de ses oeuvres provoque un scandale outre-Atlantique. Le peintre prétend pourtant, après son retour en France, n’être qu’un admirateur de Boucher et de Fragonard.
Parmi ses modèles on trouve sa femme Hermine David qu’il a épousé pendant son séjour à New York et sa maîtresse Cécile Vidil (1891-1977), la future femme du peintre norvégien Per Lasson Krogh (1889-1965) avec lesquelles il entretient une relation simultanée.
« Pourquoi une femme est-elle considérée comme moins obscène de dos que de face, pourquoi une paire de seins, un nombril, un pubis sont-ils de nos jours encore considérés comme impudiques, d’où vient cette censure, cette hypocrisie ? De la religion ? »
Nous sommes au début des années 1930, époque où Picasso, Braque, Miro, le cubisme, les abstraits, les surréalistes, font littéralement exploser la figuration et la représentation dans la peinture. Tout comme Modigliani, et de nombreux autres artistes, Jules Pascin s’interroge quant à lui, sur la signification de son oeuvre figurative. Il souffre de ne plus être reconnu, et croit perdre le sens, la sensibilité et la puissance qu’il a toujours voulu donner à sa propre peinture. Il sombre et se réfugie peu à peu dans la fuite, les fêtes nocturnes et l’alcool.
Jules Pacsin adresse à sa compagne Lucy, peu avant de mettre fin à ses jours, une dernière lettre dans laquelle il écrit : « Je suis un maquereau, j’en ai marre d’être un proxénète de la peinture … Je n’ai plus aucune ambition, aucun orgueil d’artiste, je me fous de l’argent, j’ai trop mesuré l’inutilité de tout. » Le peintre se suicide dans son atelier du boulevard de Clichy le 2 juin 1930, à l’âge de quarante-cinq ans. Plus de mille personnes suivent quelques jours plus tard le cortège jusqu’au cimetière du Montparnasse. Les galeries d’art de paris ont fermé leurs portes en signe de deuil. Un poème de son ami André Masson est gravé sur sa tombe : « Homme libre héros du songe et du désir de ses mains qui saignaient poussant les portes d’or esprit et chair Pascin dédaigna de choisir et maître de la vie il ordonna la mort. »
« — Ne vous retournez pas ainsi…Continuez à suivre le corps du pauvre Pascin : Oui je vous laisse ; je reste ici avec son image immatérielle. Avec Chagall mystique, sa fine compagne à ses côtés, avec Kisling et Papazoff qui sont de la même lignée formidable, avec tous ses copains et copines, les yeux rougis, André Salmon et Marcel Sauvage le visage bouleversé, les modèles de tout poil et de toute couleur, les marchands de tableaux, même, dont la douleur se tempère de la hausse brusque que vaut ce bond dans l’éternité… Oui Zadkine, excuse-moi : sculpteur, vous avez le culte de la matière et des formes, dépouilles mortelles que vous suivrez, avec l’espoir d’une survivance, d’une transfiguration, « tel qu’en lui-même, enfin l’éternité le change » ; moi, je le vois encore, hanté par la chair, par l’hallucination du désir, des jambes écartées, des femmes étalées, des croupes obscènes, appel magnifique et terrible de la bête humaine, à quoi répondait triomphalement sa grande et simple bonté. »
W. Mayr, Souvenirs sur Pascin
Eric Baude, © Danube-culture, droits réservés, mis à jour septembre 2023
Sources :
Levy-Kuentz, Stephen, Pascin libertin, Adam Biro, 2009
Lvy-Kuentz, Stephen, Pascin, coll. « Grandes monographies », La Différence, Paris, 2009
Joann Sfar, Joann Pascin, biographie imaginaire, L’Association, 2005
Levy-Kuentz, Pascin et le tourment. Coll. Les essais, La Différence, Paris 2001
Bay, André,, Adieu Lucy, Le roman de Pascin, Albin Michel, Paris, 1983
Dupouy, Alexandre, Jules Pascin, collection Rêveries, Parkstone Press Ltd, New York, 2004
Warnod, André, Pascin, André Sauret, Éditions du livre, Monte-Carlo, 1954
Nieszawer & Princ, Artistes juifs de l’École de Paris 1905-1939, français-anglais, Éditions Somogy, Paris, 2015
Catalogues raisonnés :
Hemin, Yves, Krohg, Guy, Perls, Klaus, Rambert, Abel, Pascin : Catalogue raisonné, vol. 1 : Peinture, Aquarelles, Pastels, Dessins, Bibliothèque des Arts, Paris, 2001
Hemin, Yves, Krohg, Guy, Perls, Klaus, Rambert, Abel : Catalogue raisonné, vol. 2 : Peinture, Aquarelles, Pastels, Dessins, Bibliothèque des Arts, Paris 2001
Hemin, Yves, Krohg, Guy, Perls, Klaus, Rambert, Abel, Pascin : Catalogue raisonné, vol. 3 : Simplicissimus, Gravures, Lithographies, Illustrations, Sculptures, Objets, Bibliothèque des Arts, Paris, 2001
Hemin, Yves, Krohg, Guy, Perls, Klaus, Rambert, Abel, Pascin : Catalogue raisonné, vol. 4 : Dessins, Aquarelles, Pastels, Peintures, Dessins érotiques, Bibliothèque des Arts, Paris, 2001
Hemin, Yves, Krohg, Guy, Perls, Klaus, Rambert, Abel, Pascin : Catalogue raisonné, vol. 5 : Peinture, Aquarelles, Pastels, Dessins, Bibliothèque des Arts, Paris, 2010
Filmographie :
Pascin l’oublié (INA) : https://images.app.goo.gl/Aq8WaG6rHc7CREgB7
François Lévy-Kuentz, Pascin l’impudique, Production Lapsus/France 5/Paris première, 2000, 60 mn
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Pascin