Présence et témoignages d’un médecin français sur le Bas-Danube et en Dobroudja pendant la guerre de Crimée (1853-1856)
Né à Marseille, Camille Allard (1832-1864)1 séjourne du 28 juin au 27 novembre 1855 en Dobroudja ottomane alors menacée par la politique expansionniste de la Russie comme médecin auprès de la mission française des Ponts et Chaussées. Celle-ci est chargée d’établir une route militaire et commerciale de Rassova (Rasova, PK 314, Roumanie), sur la rive droite du Danube, jusqu’à Kustendjé (Constanţa) au bord de la mer Noire.
Ses souvenirs d’entre mer Noire et Danube fourmillent d’observations, de renseignements historiques, géographiques, sociaux, d’informations sur les conditions climatiques, hygiéniques, environnementales de la Dobroudja et de ses populations du milieu du XIXe siècle parmi lesquelles les Valaques, les Tatars de Kara-Kruï que le médecin français soigne et pour lesquels il a « une grande affection », les Bulgares, les Turcs, les Tsiganes, les Moscovites, les Cosaques Zaporogues, les Rousniaques, les colons allemands. Ils témoignent également de la surprise, de l’émotion et de l’admiration du jeune médecin français pour la beauté des paysages bas-danubiens.
« Durant mon séjour à Rassova, je fis de bien fréquentes excursions sur les rives du Danube et dans les gorges voisines. Je gravis souvent les hauteurs pour contempler le magnifique spectacle qu’offre aux yeux le Danube, qui de ses mille bras étreint les plaines de la Valachie. J’aimais à voir, du haut des falaises turques, le grand fleuve autrichien, mécontent de sa facile proie, venir sans cesse user le sol bulgare sans pouvoir l’envahir. J’affectionnais surtout un point, du haut duquel on voit plusieurs vallées converger vers une vallée plus profonde, qui vient s’ouvrir sur le Danube devant Rassova. Au loin, semblable à une mer enveloppant d’innombrables îles, le fleuve se resserre subitement pour diriger sa course vers le point de la rive turque que protège la levée française. Que deviendront ou même que sont déjà devenus ces travaux ? Le fleuve les a peut-être détruit à cette heure, ou les détruira sans doute bientôt si une main conservatrice ne vient pas les protéger. Mais leurs traces resteront, comme pour attester aux populations futures de ces régions qu’il n’est pas impossible de résister aux empiètements du fleuve, et que la France a donné l’exemple et a eu l’initiative de cette grande oeuvre.
Nous habitâmes Rassova jusqu’au 25 novembre, et nous pûmes voir, à l’ombre du drapeau français, la ville ruinée se ranimer peu à peu. Les émigrés rentraient de toute part ; des maisons nouvelles s’élevaient partout, et Rassova, au moment de notre départ, était transformé. Plusieurs négociants étaient venus s’y établir ; des fournisseurs de l’armée avaient élevés de grands magasins, autour desquels se groupaient une foule d’arabas1 destinés à transporter à Kustendjé2 les approvisionnements de l’armée. Les bateaux à vapeur du Danube stationnent depuis cette époque devant Rassova, et tout promet à cette ville une certaine importance, si, comme on doit l’espérer, rien ne vient entraver l’impulsion donnée par la France.
Mais le 25 novembre, la première neige commençait à tomber ; les steppes avaient pris un aspect bien triste. Les rives du fleuve et les lacs étaient gelés, et le dernier paquebot autrichien revenait de Galatz, trainant une longue chevelure de glaçons… »
Notes :
1 Charriot couvert tirée par des bœufs, utilisée autrefois dans l’Empire ottoman
2 Constanţa
Sources :
ALLARD, Camille (docteur), Souvenirs d’Orient, La Dobroutcha, Charles Dourniol, Libraire-Éditeur, Paris, 1859
ALLARD, Camille, Souvenirs d’Orient, la Bulgarie orientale, Adrien Le Clère et Cie, Libraires-Éditeurs et C. Dillet, Libraire-Éditeur, Paris, 1864
ALLARD, Camille, Entre mer Noire et Danube, Dobroudja 1855, collection Via Balkanika, introduction de Bernard Lory, Éditions Non Lieu, Paris, 2013
Danube-culture, mise à jour décembre 2021