De Linz à Vienne par le Danube en 1860 avec le guide Joanne

   Adolphe Joanne (1813-1881), journaliste, homme de lettres, éditeur fonde en 1843 avec Édouard Charton (1807-1890) et Jean-Baptiste-Alexandre Paulin (1796-1859) un des magazines en langue française les plus célèbres du XIXe siècle, L’Illustration. Encouragé par la publication d’un Itinéraire descriptif et historique de la r isse, du Jura, de Baden-Baden et de la Forêt Noire, Adolphe Joanne réalise une série de guides semblables pour les pays ou capitales européennes. Ces guides très soignés et précis contiennent un nombre impressionnant de renseignements et d’informations pour les voyageurs. La collection des Guides-Joanne jouit rapidement d’une renommée universelle et ne tarde pas à remplacer celles de Richard, d’Ebel et de l’Anglais John Murray (1808-1892) qui publia les Handbooks for travellers de 1836 à 1901.1 Paul Joanne, son fils, participera également à la rédaction puis à la direction des collections de guides créés par son père et éditées par Hachette. Elles deviendront, après la première Guerre mondiale, sous la direction du géographe Marcel Montmarché (1872-1945) les Guides-bleus. Adolphe Joanne est l’un des fondateurs du Club Alpin Français.

Beda Weinmann (1818-1888), panorama de Linz, vers 1860

25 milles (40, 234 km !)
Bateaux à vapeur tous les jours ; départ à 7 heures du matin ; voyage en 9 à 10 h. pour 8 fl. et 5 fl. 20 kr. — De Vienne à Linz remontée en 24 ou 30 heures pour 6 .fl et 4 fl.

Kaspar (Kasparus) Karsten (1810-1896), vue de Linz avec le Danube, huile sur toile

   En aval de Linz, le Danube se divise en un grand nombres de bras formant des îles verdoyantes. On voit sur la rive g. le château ruiné de Steyreregg, pris en 1626 par les paysans ; le village possède une belle église dans l’ancien style allemand. — En face sur la rive droite, la Traun se jette dans le Danube, près de San Peter in der Au et Zizelau.
   Gauche, Pulgarn, village de 200 habitants, situé sur le Reichenbach et dominé par un vieux château.
   Droite, Asten. À une heure au Sud, se trouve le monastère de Saint Florian. Le château de Spielberg s’élève sur une île près de la rive droite.
   Gauche, San Georgen, sur la Gusen, à 30 mn du fleuve ; Frankenberg et Gusen ; puis Mauttausen, bourg de 1160 habitants, presque en face de l’embouchure de l’Enns. On y remarque le château de Pragstein, l’église de Saint-Nicolas ; Niedersebing, village au-dessous duquel l’Augst ou Aigst se jette dans le Danube. Naarn, avec une chapelle byzantine, un château et une église de vieux style allemand. 
  
Droite, Erla, ancien couvent devenu propriété particulière ; Niederwallsee, un des plus beaux châteaux du Danube, bâti sur un rocher escarpé et entouré d’un beau jardin ; on y jouit d’une belle vue sur le fleuve et sur la chaîne des Alpes ; Ardacker, village de 400 habitants au-dessous duquel le Danube entre dans un étroit défilé.
   Gauche, Clam, village de 200 habitants, dont le château fût vainement assiégé en 1626 par les Hussites, en 1487 par Matthias Corvin ; il renferme une collection de vieilles armures ;  — Grein, qu’on voit sur la rive gauche, après un détour vers le Nord, est une des plus pauvres villes de l’Autriche. Son château de Greinburg, bâti en 1493, appartient actuellement au duc de Saxe-Coburg.
    Le lit du fleuve se rétrécit, et on franchit le premier rapide, nommé Greiner Schwall ; on passe le Strudel ou tourbillon, jadis redoutable aux bateaux, avant qu’on eut fait sauter les rochers qui traversaient le fleuve d’une rive à l’autre. On remarque la vielle tour de Woerthschloss, sur l’île de Woerth, et sur la rive gauche les ruines du château de Werfenstein, dont les seigneurs exerçaient la profession de voleurs de grand chemin. On voit se dresser au milieu du fleuve le Haustein, bloc de rochers couronné d’une vieille tour et près duquel se trouvait jadis le Wirbel, autre tourbillon redouté des bateliers du Danube.
   Gauche, Sarblingstein ou Sarminstein, village bâti en amphithéâtre et dominé par une tour circulaire. Près de là, le Sarming (Sarmingbach, ) descend d’un ravin par de nombreuses cascades et se jette dans le Danube. On voit ensuite l’embouchure de l’Imper qui sert de limite aux provinces de la Haute et de la Basse-Autriche. — Donaudorf, village et petit château de la rive droite.
   Gauche, Boesenbeug (mauvais coude) ou Persenbeug, est un château qui date de plus de huit siècles et qui couronne un rocher de granit. Le bâtiment actuel, qui date de 1617, fut souvent habité par l’empereur François, qui l’acheta en 1800. Le village situé à sa base, possède un vaste chantier pour la construction des bateaux du Danube.
   Droite, Ips, pons Isidis ou Gessodunum, est une ville ancienne de 1000 habitants, près de l’embouchure de l’Ips ou Isis. — Sausenstein a gardé les ruines d’une abbaye de l’ordre de Cîteaux, fondée en 1336, et incendiée en 1809 par les Français. — Sur la rive gauche, Marbach, village de 200 habitants, au pied du Taferlberg, que couronne l’église de Maria Taferl (Marie de la petite table), bâtie en 1661 et visitée par des pèlerins dont le nombre annuel est de 50 000 à 120 000. — Plus loin L’Erlaf se jette dans le Danube ; en face de Klein Pechlarn, rive gauche, Gross Pechlarn, l’Arelape des Romains.
Moelk ou Melk ; (hôtels Lamm, Ochs), bourg de 1200 habitants, sur la rive droite du Danube, près de l’embouchure du Moelk, possède une église paroissiale de 1481, et une abbaye de Bénédictins, située sur un rocher haut de 60 mètres, fondée en 984, rebâtie en 1707 ; c’est l’une des plus belles et des plus riches de l’Autriche. — L’église à l’intérieur est décorée de statues colossales , à l’extérieur de fresques de Rottmayr. Les caveaux renferment les tombeaux des princes de la famille de Babenberg et ceux de saint Coloman et saint Gotthalm. — On remarque dans l’abbaye : la maison de l’abbé et sa chapelle particulière : l’appartement de l’empereur ; la bibliothèque de 30 000 vol. et 2000 incunables ou manusc. ; les collections de médailles et d’histoire naturelle, la galerie ; enfin les caves assez vastes pour qu’on puisse y circuler en voiture. — On aperçoit ensuite (riv. gauche) Emmersdorf , village de 400 hab., dominé par un château en ruines et situé en face de l’embouchure de la Bielach (Pielach) : Schoenhubel (Schoenbuhel) (rive dr.), château du comte Beroldingen, puis Aggstein (rive dr.), château en ruines, perché sur un rocher conique qui domine Klein Aggsbach et qui fut habité par un seigneur chef de brigands, Schreckenwald, la terreur des bateliers au XIIIe siècle. Pour visiter ce château, il faut prendre un guide et se munir de la clef à l’auberge située au-dessous.
G[auche]. Au-delà de Schwallenbach on remarque la Teufelsmauer, muraille du diable, arrête rocheuse semblable à un mur en ruine et qui renvoie un très bel écho. — Spitz, bourg de  1000 habitants : — San Michäel, village dont la vieille église fut un jour enfouie dans la neige jusque’à la toiture ; — Weissenkirchen, bourg de 1000 habitants près duquel furent les premières vignes des rives du Danube ; — Dürrenstein ou Tyrnstein, village de 450 habitants qui n’a d’intéressant que le beau tabernacle de son église, et les ruines d’un couvent. Le château, démantelé en 1645 par les Suédois, probablement celui où Richard-Coeur-de-Lion fut retenu prisonnier pendant 15 mois, de 1192 à 1193, est un des plus anciens de l’Autriche. — Stein (hot. Elephant), ville de 2000 habitants située sur la rive g., a été réunie en 1463 par un pont  de bois à Mautern, ville de 700 hab., sur la rive dr. On remarque à Stein la vieille église paroissiale, l’hôtel de ville orné de fresques ainsi que certaines maisons particulières, les ruines du château détruit en 1486 par Mathias Corvin, et les vestiges d’une ancienne forteresse : un monument y a été élevé à la mémoire du feld-maréchal lieutenant Schmidt. — Mautern, (le Mutinum des Romains, la Mutara des Nibelungen), où Mathias Corvin défit en 1484 l’empereur Frédéric III, est également dominé par un château. Une promenade de 15 à 20 mn relie Stein à
Krems (hôt. Rose, Goldene Hirsch), ville de 7000 hab., une des plus anciennes de la Basse-Autriche, situé à l’embouchure de la Krems.

Krems en 1860, gravure d’après un dessin de  J. Alt

   Elle produit une moutarde renommée, de la poudre excellente, et fait le commerce des vins. L’église paroissiale de Saint-Vit et celle de l’Hôpital mérite une visite. — La vallée de Krems renferme la  belle et riche abbaye de Bénédictins de Goettweih (Göttweig), à 230 mèt. d’altitude. On y voit de belles collections d’antiques, de gravures, d’objets d’histoire naturelle et une bibliothèque de 40 000 vol., de 1200 incunables et de 700 man. À partir de Krems, les bords du Danube sont presque plats et insignifiants.
Dr[oite]. Tulln, Comagena, jadis station d’une des trois flottilles romaines, ville de 1850 hab., possède une chapelle romane des Trois-Rois, aujourd’hui’hui transformée en magasin à sel : c’est dans la plaine voisine que se réunit l’armée polonaise (commandée par Jean Sobieski), qui alla délivrer Vienne de l’invasion turque. En face de Zeiselmauer, patrie de Saint-Florian, on aperçoit les Tours de Stockerau. — Greifenstein, ancien château, appartient actuellement au prince Liechtenstein. — Klosterneuburg, ville de 3700 hab., possède une riche abbaye de bénédictins. Le bâtiment actuel date de 1730. À g. on laisse Kornneuburg, station du chemin de Stockerau.
   Nussdorf, petit v. situé à 1h de Vienne. On y débarque ordinairement et on y donne son passe-port pour le recevoir seulement au bureau de la compagnie des bateaux à vapeur de Vienne (la compagnie  transporte gratuitement à Vienne les bagages que le voyageur ne prend pas avec lui.) Des omnibus, des stellwagen et des fiacres attendent au débarcadère. On fait son prix d’avance pour les fiacres ;  on paie de fl. 6 kr. à 2 fl. 30 kr.
96 à 100 h de Donauwoerth, Vienne.

Notes :
1 les concurrents les plus redoutables pour les Guides-Joanne furent ceux de l’Allemand Karl Baedeker (1801-1859) qui aura pour politique de publier la plupart de ses guides en trois langues : allemand, français (dès 1846) et anglais (à partir de 1861). La bibliographie d’Alex Hinrichsen ne recense, pour la période 1832-1944, pas moins de 477 éditions en allemand, 226 éditions en français, et 266 éditions en anglais.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, août 2023

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