La tarte de Linz !

La tarte de Linz ou « Linzer Torte » est-elle vraiment née à Linz sur les bords du Danube ?

   Les meilleures pâtisseries comme la tarte Sacher, le strudel aux pommes, aux noix ou au pavot voire aux asperges, au même titre que la moustache de l’empereur François-Joseph, le traditionnel loden, un chapeau de chez Mühlbauer (Vienne), la trop souvent parodiée et tristement insipide « Wiener Schnitzel », la « Schrammelmusik » (musique traditionnelle viennoise), le « Grüner Veltliner », le « Gemischter Satz » (vins blancs qu’on boit traditionnellement dans les « Heuriger »), ou l’incontournable valse de Vienne, sont bien plus que de simples clichés de l’histoire et de l’identité culturelle autrichiennes.
   La « Linzer Torte ou Linzer Dortte » en fait bien évidemment partie comme elle fait partie des spécialités culinaires du Danube autrichien mais elle a, contrairement à d’autres spécialités autrichiennes culinaires ou reconnues comme telles plus récemment, une tradition bien plus ancienne. De plus elle fait en général l’unanimité dans toutes les classes sociales et se déguste de l’enfance jusqu’à…

« Les jours devinrent des semaines, puis aux semaines succédèrent les mois et soudain le printemps était là. La douce lumière du soleil réchauffant l’air nous incitèrent à redevenir des promeneurs heureux de retrouver des sensations presque oubliées. Et quand vous avez la joie de vous assoir sur un banc dans un parc ou tout simplement sur une couverture posée sur l’herbe au bord du Danube avec des amis, ou votre famille réunie ou un être cher, quel qu’il soit, vient l’instant de partager une délicieuse « Linzer Torte ».

La tarte de Linz a-t-elle été inventée à Linz sur les bords du Danube ?

Difficile à dire car la plus ancienne recette de « Linzer Torte » ne se trouve pas à Linz au bord du Danube mais dans une prestigieuse abbaye de Styrie ! Les archives de l’extraordinaire bibliothèque de l’abbaye bénédictine d’Admont1, fondée en 1074 et située sur les bords de l’Enns, un important affluent de la rive droite du Danube haut-autrichien abritent de merveilleux trésors, curiosités et autres objets exceptionnels.

L’abbaye bénédictine d’Admont, berceau de la « tarte de Linz » (?) dans l’ouvrage Topographia ducatus stiria de Georg Matthäus Vischer, 1681

Elles ont aussi l’immense privilège de posséder, trésor parmi les trésors de leur collection de livres de cuisine, la plus ancienne recette connue de « Linzer Torte« . Ce n’est d’ailleurs pas une mais quatre recettes de « Linzer Torte » parmi 490 recettes diverses consignées en 1653 par Anna Margarita Sagramosa, née comtesse Paradeiser, une aristocrate originaire de la région autrichienne de la Carniole (Krain, aujourd’hui en Slovénie, province faisant frontière avec l’Italie) et installée après son mariage à Vérone, dans le Codex 35/31 qui figurent dans cet ouvrage intitulé en langue allemande « Buech von allerley Eingemachten Sachen, also Zuggerwerck, Gewürtz, Khüt- ten und sonsten allerhandt Obst wie auch andere guett und nützlich Ding ». (« Le livre de diverses sortes de réalisations culinaires tout comme des sucreries, des épices, des coings et toutes variétés de fruits et aliments gouteux et utiles »).
La question de la présence de cet ouvrage culinaire dans le fonds de la bibliothèque de l’abbaye bénédictine d’Admont n’a pas encore trouvé de réponse. Mais les moines bénédictins se sont toujours intéressés aux domaines scientifiques les plus variés et aux arts y compris culinaires. Les quatre recettes n’ont été redécouvertes qu’en 2005 par la directrice de la bibliothèque du musée de Haute-Autriche de Linz. La plus ancienne recette connue auparavant et datant de 1696 appartient à la collection du Musée de la ville Vienne.
Un certain Johann Konrad Vogel (1796-1833), originaire de Bavière, se marie en 1822 avec Katherina Kreß, veuve d’un pâtissier de Linz, reprend le commerce et se lance dans la fabrication à grande échelle d’une tarte à base de la fameuse et délicieuse « pâte de Linz », connue, sous une forme similaire, déjà dans l’Égypte ancienne. Cette pâtisserie devient l’emblème culinaire (l’ambassadrice sucrée) de la capitale de la Haute-Autriche et fait ensuite le tour du monde. La recette rapidement imitée a continuellement été renouvelée, réinventées au fil du temps, de l’imagination et de l’inspiration des pâtissiers. Bref on s’est souvent largement éloigné de la ou des recettes recettes d’origine. C’est pourquoi il est passionnant de se pencher sur quelques-unes des plus anciennes et « authentiques » recettes de « Linzer Torte » pour connaître quelle pâtisserie/salon de thé ou Konditorei autrichienne peut à juste titre prétendre vendre la véritable « Linzer Torte » selon les critères définis dans la capitale de la Haute-Autriche.
La « Linzer Torte » est une pâtisserie à base de pâte brisée (pâte de Linz) confectionnée avec une proportion importante de noix. À l’origine, seules des amandes étaient ajoutées à la pâte. Aujourd’hui un mélange d’amandes et de noisettes râpées est généralement utilisé. La « Linzer Torte » authentique ne doit contenir qu’une simple garniture de confiture de groseille. Elle est traditionnellement recouverte avec un treillis de pâte.
Les premières recettes nous montrent une tarte qui n’a pas grand-chose à voir avec celle que nous connaissons aujourd’hui. Les divers ingrédients caractéristiques désormais utilisés tels que par exemple la cannelle, les clous de girofle et les noisettes manquent de même que le treillis caractéristique et souvent aussi la garniture avec de la confiture. Dans les premiers années de sa fabrication on utilisait  des amandes râpées, des citrons ou même du saindoux qui faisaient l’originalité de la véritable « Linzer Torte ». Malgré tout, une caractéristique relie toutes les différentes recettes de « Linzer Torte » au cours de l’histoire, l’incontournable pâte brisée qui fait la saveur inégalable de ce dessert bien évidemment à condition de veiller à ce que celle-ci ne soit pas trop sèche.
Si la plus ancienne recette connue de « Linzer Torte » ne se trouve pas à Linz, la bibliothèque du Musée de Haute-Autriche (Oberösterreichische Landesmuseum) possède toutefois une collection importante de livres de cuisine manuscrits datant d’entre 1700 et 1858 et dans lesquels on trouve pas moins de 95 recettes de « Linzer Torte » ! Parmi celles-ci ces recettes une variante avec du chocolat (Livre de cuisine de Babette Kindler, vers 1850).

Recette manuscripte de « Linzer Torte », collection du Musée du Land de Haute-Autriche de Linz

Note :
1 la plus importante bibliothèque de monastère au monde

La « Linzer Torte » en quelques dates
1653
La comtesse Anna Margarita Sagramosa originaire de Krain (Carniole), domiciliée à Vérone après son mariage, recopie quatre recettes de « Linzer Torte » dans son livre de cuisine manuscrit. Redécouvert à la bibliothèque de l’abbaye d’Admont en 2005, c’est actuellement le plus ancien témoignage connu d’une recette de « Linzer Torte ».
1718
La première recette imprimée du « Guten und Suessen Lintzer-Taiges » est publiée dans le « New Saltzburg Cookery Book » de Conrad Hagger.
1700-1850
Période de gloire de la « Linzer Torte ». Inventions de nombreuses variations tant en termes de goût que d’apparence. Des recettes de « Linzer Torte » sont publiées dans presque tous les premiers livres de cuisine imprimés en Europe.
1842
La « Linzer Torte » est mentionnée pour la première fois dans un récit de voyage (Johann Georg Kohl « Reise von Linz nach Wien », publié à Dresde en 1842).
1855
Franz Hölzlhuber (1826 -1898), peintre, chanteur, poète, bibliothécaire, professeur de dessin, confiseur, né à Steyr (Haute-Autriche) et émigré aux USA fait découvrir la « Linzer Torte » aux américains de Milwaukee (Wisconsin) pendant son séjour (1855-1860). Il compose à Milwaukee son unique opéra (singspiel) qu’il intitule « Das neue Donaureich » (vers 1856).
Le magazine American Heritage de juin 1965 attribue l’introduction de la Linzer Torte en Amérique à Franz Holzlhuber : « En 1856, Hölzlhuber, un jeune Autrichien entreprenant des environs de Linz, s’est embarqué pour l’Amérique. Il n’avait que très peu d’argent mais était équipé d’une cithare, d’un carnet de croquis, d’une formation en droit et en dessin, et de la promesse d’un emploi à Milwaukee en tant que chef d’orchestre. Quelque part entre New York et le Wisconsin, il perd ses bagages et la lettre confirmant son emploi, qui s’avère ne plus être disponible. Nullement découragé, il se mit à travailler comme boulanger, introduisant (selon ses dires) la Linzer Torte en Amérique… »

Franz Hölzlhuber (1826-1898), ambassadeur de la « Linzer Torte » aux États-Unis

1900
L’écrivain prussien Ernst von  Wildenbruch (1845 -1909) immortalise la pâtisserie dans son ode à la  « Linzer Torte ». Il conclue celle-ci sur le vers : « Was sind aller Dichter Worte gegen eine Linzer Torte! » (« Que peuvent faire les vers de tous les poètes en face d’une tarte de Linz ! »)
1927
L’écrivain, journaliste et humoriste viennois Alfred Polgar (1873-1955) sème volontairement et non sans humour la confusion en prétendant que la recette de la « Linzer Torte » a été inventée par un boulanger viennois du nom de « Linzer ». Cette hypothèse est réfutée.
1944
L’opérette « Linzer Torte » du compositeur Ludwig Schmidseder1 (1904-1971 ), né à Passau et mort à Münich sur un livret d’Ignaz Brantner (1886-1960), Johann-Gustav) Kernmayr (1900-1977) et Aldo von Pinelli (1912-1967) est représentée pour la première fois au Théâtre de Haute-Autriche de Linz. Ludwig Schmidseder est aussi l’auteur de l’opérette « Mädel aus der Wachau » créé à Linz en 1951.
2009
Première édition des Journées de la « Linzer Torte »
Cet évènement a lieu à la fin de l’automne : concours de pâtisserie, démonstration de cuissons diverses, présences d’illustres amateurs de la « Linzer Torte » et autres spécialités culinaires locales.
Notes :
1
Ce compositeur de musique légère tendance jazz à été membre du parti nazi dès 1933. Il se fera naturalisé autrichien en 1948.

Parmi les nombreuses personnalités autrichiennes et étrangères qui appréciaient ce met sucré on compte l’archiduc Franz Karl de Habsbourg (1802-1878), père de l’empereur François-Joseph et beau-père de Sissi qui avait pris l’habitude en se rendant dans son élégant palais d’été de Bad Ischl (Salzkammergut) de passer la nuit dans la capitale de la Haute-Autriche et d’emporter avec lui une « Linzer Torte » pour la suite de son voyage. Autant dire que la « Linzer Torte » appartient à l’histoire de l’Autriche.

Deux bonnes adresse à Linz
L’incontournable Konditorei Jindrak confectionne depuis bientôt 100 ans (1929) la « véritable Linzer Torte » à raison d’environ 100 000 exemplaires chaque année ! La maison mère se trouve Herrenstraße 22-24 avec de nombreuses filiales dans la ville.
www.jindrak.at/original-linzer-torte 
La confiserie Isabella/Marc Chocolatier, s’est basée sur l’une des quatre recettes de la bibliothèque de l’abbaye d’Admont pour recréer une « Linzer Torte » parmi les plus savoureuses d’Autriche. On la trouve non seulement dans l’établissement d’une des grandes rues commerçantes de la capitale de Basse-Autriche (Landstrasse) mais aussi sur place à l’abbaye d’Admont.
www.marc-chocolatier.at

Une recette contemporaine 
Ingrédients :
250 grammes de beurre
250 grammes de farine,
125 gramme de sucre glace
150 grammes de noisettes (ou éventuellement amandes) en poudre
2 cuillerées à soupe de chapelure,
1 oeuf, 1 jaune d’oeuf et 1 oeuf pour enduire
Cannelle en poudre, 1 pincée de clou de girofle moulu
1 pincée de sel
zeste citron ou jus de citron
confiture de groseille, amandes effilées.
Préparation :
Disposer la farine en tas sur le plan de travail. Couper le beurre en petits morceaux et les mélanger à la farine en émiettant du bout des doigts. Ajouter le sucre glace, les noisettes et la chapelure, puis l’œuf et le jaune d’œuf. Saupoudrer généreusement de cannelle, d’une pincée de clou de girofle, d’un peu de sel et du zeste ou du jus d’un citron. Travailler l’ensemble rapidement pour obtenir une pâte brisée lisse en formant une boule. La couvrir et la laisser reposer au frais une demi-heure environ.
Préchauffer le four à 180°C et beurrer un moule à manqué pas trop grand.
En appuyant avec le dos des doigts, repartir un peu plus de la moitié de la pâte au fond du moule. Avec le reste, former plusieurs petits boudins (pour les croisillons) ainsi qu’un boudin plus gros pour le bord de la tarte. Couvrir le fond  de la tarte de confiture en laissant un espace libre d’environ 1 cm tout autour pour réaliser le bord. Disposer le gros boudin en rond autour du moule et l’écraser légèrement. Disposer ensuite en treillis les boudins plus fins sur le dessus de la tarte. On peut éventuellement saupoudrer le tout d’amandes effilées.
Recouvrir la pâte avec l’œuf battu puis faire cuire au four pendant 50 à 60 minutes. Sortir du four et laisser refroidir. Recouvrir et laisser reposer une journée.

Selon d’autres recettes la « Linzer Torte » est préparée avec une pâte plus molle. Les croisillons sont alors réalisés à l’aide d’une poche à douille.
Vous pouvez la mettre en valeur en l’accompagnant avec un vin pétillant brut autrichien de la vallée du Danube !

Une recette vegan
Ingrédients :
300 grammes de farine complète ou semi-complète fine
100 grammes de sucre
150  grammes de noisettes en poudre
200 grammes de Margarine végétale
1 cuillère à thé de cannelle
200 grammes de confiture de groseille qui peut être éventuellement remplacée par de la confiture de cerises amères ou de cassis
Crème fraîche végétale
Préparation :
Tamisez la farine sur une plaque à pâtisserie et faites un puits au milieu. Ajouter le sucre, la cannelle et les noisettes. Étaler la margarine en morceaux sur le bord de la farine et pétrir le tout rapidement avec les mains pour former une pâte lisse. Formez une boule, l’enveloppez dans du papier d’aluminium et laissez reposer au réfrigérateur pendant 1 à 2 heures.
Sur un plan de travail fariné, étalez ensuite les trois quarts de la pâte sur une épaisseur d’environ 2 cm et garnissez le fond d’un moule à cake ou à charnière (diamètres de 24 cm) avec celle-ci. Piquez le fond du gâteau plusieurs fois avec une fourchette à petits intervalles et répartir la confiture de groseille uniformément sur le dessus. Façonner le reste de pâte en petits boudins,  disposez-les sur la tarte en les croisant  et recouvrez-les d’une crème chantilly végétale. Faites cuire au four préchauffé à 200°C pendant environ 45-55 minutes.
Au lieu de la confiture de groseille, vous pouvez également utiliser à la place de la confiture de groseille une compote de pommes. la tarte sera alors particulièrement moelleuse.

Et pendant que vous êtes à Linz et séduit par cette ville où passé, présent et futur s’harmonisent ne font pas que s’harmoniser architecturalement, ou peut-être déjà devant la vitrine alléchante d’une Konditorei, partez à la découverte des « Linzer Augen » (« Yeux de Linz »). Une autre spécialité sucrée de la ville, particulièrement appréciée pendant le temps des fêtes de fin d’année avec d’autres biscuits, certes moins connue à l’étranger mais toute aussi délicieuse ! On les achète un peu partout en Autriche.

Linzer Augen, yeux de Linz, autre spécialité fort appréciée des gourmands ! Photo droits réservés

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour novembre 2023

Sources :
Linzer Torte, Bundesministerium Landwirtschaft, Region und Tourismus,
www.bmlrt.gv.at
www.stiftadmont.at
www.linztourismus.at/fr
www.steyerpioniere.wordpress.com
Josef Hasitschka, Admonter Klosterkochbuch, Barocke Rezepte und Geschichten aus den Stift Admont, Benediktiner Stift Admont, Admont, 1998
Waltraud Faißner, Wie man die Linzer Dortten macht ! (Comment prépare-t-on la tarte de Linz !), 2004
Recettes historiques de la « Linzer Torte » issues de la collection culinaire de la bibliothèque du Musée régional haut-autrichien de Linz.
40 recettes de 1700 à 1848 avec parfois des ingrédients inhabituels comme de l’eau de rose, des morceaux d’orange confite ou des pistaches pour la décoration qui démontrent que la « Linzer Torte » était initialement une pâtisserie à la mode baroque. Les recettes sont accompagnées d’illustrations du XVIIIe et du XIXe siècles.

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