Le Monastère de Mraconia, gardien des « chaudrons danubiens »
Les impressionnants défilés (« Klissura » en serbe) des Portes-de-Fer (PK 1039-943) ont pris le le surnom de petits et grands « chaudrons » ou « Cazanele mici » et « Cazanele mare » en roumain, le mot « Cazan » venant lui-même du turc « Kazan », le chaudron.
Dans ces lieux restés jusqu’à maintenant sauvages malgré les interventions humaines depuis l’époque romaine pour rendre le fleuve navigable et améliorer la circulation sur ses rives à cet endroit, s’est dessiné au fil des temps le plus grandiose paysage de relief du cours du Danube.
Le monastère du ‘Lieu caché »
Un premier monastère orthodoxe fût construit aux XIIIe-XIVe siècles sur l’emplacement actuel de la petite commune roumaine de Dubova (Km 970, rive gauche), à une quinzaine de kilomètres d’Orşova, dans un lieu presque inaccessible, en contrebas de la route actuelle, d’où son nom de monastère de Mraconia ou monastère du « Lieu caché ». Il est placé sous la protection du prophète Élie. Le chroniqueur et protopope orthodoxe roumain Nicolae Stoica de Haţeg (1751-1833) raconte dans une chronique de 1829, que, par peur des Turcs et en particulier après la bataille de Varna et la prise en 1453 de Constantinople par les Ottomans, les moines du monastère de Mraconia cherchèrent refuge à Orşova. En 1523, le lieu de culte passe sous la juridiction de l’Evêché de Vârset, à l’initiative de Nicola Gârlisteanu, gouverneur militaire de la région de frontière Caransebeş-Lugoj. Faute d’un entretien véritable, les bâtiments s’altèrent au fil du temps. Il est pourtant toujours habité par des moines en 1788 mais subit de graves endommagements pendant le conflit austro-turc du fait de sa situation inconfortable aux frontières militaires de l’Empire autrichien et aux premiers postes des affrontements. En 1823, le sceau du monastère, portant une intéressante inscription en vieux-slavon est retrouvé dans les ruines. Une icône de la Vierge y est également découverte en 1853. Elle est exposée à Vienne, grâce à l’intervention d’un peintre bavarois.
Le monastère est reconstruit en 1931, l’église achevée en 1947. Suite aux travaux de construction du barrage, les bâtiments sont définitivement détruits en 1967 par le régime communiste et les ruines de ce lieu de culte disparaissent sous la surface des eaux du nouveau lac de retenue du premier barrage des Portes-de-Fer. On peut apercevoir leur sommet affleurer à la surface du fleuve pendant certaines périodes de basses eaux.
Ce monastère traversa ainsi toutes les vicissitudes de l’histoire de cette région de l’Europe, depuis les pillages des envahisseurs, les conflits entre les empires, le paiement de lourds tributs aux occupants jusqu’à son engloutissement, comme sa proche voisine insulaire turque d’Adah Kaleh et la vieille ville d’Orşova.
L’archevêché d’Olténie prit en 1995 la décision de reconstruire le monastère à proximité des anciens bâtiments. Celui-ci se situe sur l’emplacement de l’ancien point d’observation et de guidage des bateaux naviguant sur le Danube (PK 965,5). Le paysage des Portes-de-Fer s’est métamorphosé par la main de l’homme.
Eric Baude pour Danube-culture, mis à jour juillet 2023, © droits réservés