Qui sont les premiers danubiens ?

   Des premiers danubiens jusqu’à aujourd’hui : brève histoire des relations entre les hommes des bords du fleuve.
Les hommes sont attirés par le fleuve dès la préhistoire (paléolithique) et s’établissent dans le delta et sur ses rives.    Il y a environ 250 000 ans l’homo paléohungaricus se sédentarise dans le bassin du Moyen-Danube, sur le territoire actuel de la Hongrie sans doute parce qu’il peut y trouver une nourriture (pêche…) et une eau abondantes voire peut-être également se soigner grâce aux sources thermales qui abondent à proximité de celui-ci.

Au néolithique, vers 6000 ans av. J.-C., des relations commerciales entre les différents peuples qui cohabitent autour du fleuve se mettent peu à peu en place, préfigurant déjà les grands routes commerciales danubiennes des époques ultérieures.
Il est vraisemblable que les Égyptiens connaissaient vraisemblablement déjà l’existence du Danube. D’après l’archéologue et historien serbe Branko Gavela (1914-1994), ils pourraient avoir été déjà familiers des itinéraires sur les deux rives du Danube. Les historiens et les géographes de la Grèce antique pensaient, quant à eux, que la route du Danube avait déjà été empruntée par le pharaon égyptien et grand voyageur Sesostris III.
Les populations thraces, ancêtres des bulgares colonisent aux alentours de l’an 1000 av. J.-C. les terres entre le Bas-Danube et le nord de l’Egée. Au VIIe siècle av. J.-C., des marins grecs remontent le fleuve depuis la mer Noire à travers les bras du delta. Des celtes s’installent à leur tour un peu plus tard sur le Haut-Danube, dans le sud actuel de l’Allemagne (vers 600 av. J.-C.). Ils continuent ensuite leur progression vers l’est, colonisant les terres du Moyen-Danube et celles autour de son affluent la Save.    Un peuple celto-thrace bâtit une forteresse du nom de Singidun au confluent des deux fleuves. La présence celte perdure encore à travers la toponymie de cette région. Cette domination celte disparaît vers 120 av. J.-C. sous la pression conjuguée des Romains, de tribus germaniques et des Sarmates iraniens. C’est aussi l’époque où le royaume des Daces se constitue sur le territoire d’une partie de l’actuelle Roumanie.
La conquête romaine de la vallée du Danube commence à partir de 27 av. J.-C.. Elle fait du fleuve la limite nord de l’Empire et une protection pas toujours efficace, contre les barbares, les Celtes, les Pannoniens et les Illyriens. Un grand nombre de soldats romains est affecté à la protection des frontières entre Vienne et Budapest, dans les hautes et basses vallées fluviales. Ils bâtissent une impressionnante ligne de fortifications appelée limes.

Des places fortes sont édifiées aux confluents du Danube et de ses grands affluents et dans d’autres lieux stratégiques. Les Romains vont même jusqu’à surveiller les frontières de leur empire en créant une flotte spécifique qui parcourt habilement le fleuve au moyen de bateaux adaptés aux conditions spécifiques de sa navigation succédant ainsi  à de nombreuses autres peuplades, des Égyptiens aux Celtes en passant par les Grecs qui les ont précédé sur le fleuve ou sur une partie de celui-ci. Des postes frontières sous haute surveillance sont érigés à certains points stratégiques.
Ces lieux prennent leur essor économique et deviennent vite des cités florissantes comme Castra Regina (Ratisbonne), Vindobona (Vienne, fondée en fait par les celtes), Aquincum (Budapest), Singidunum (Belgrade) et Sexantrapista (Ruse, Bulgarie)… En 105-106, l’empereur romain Trajan étend la domination de Rome au cour inférieur du fleuve au dépend des Daces et de leur roi Décébal annexant d’importants territoires, équivalents à peu près aux territoires de la Roumanie et de la Moldavie d’aujourd’hui. Son successeur, le sage Hadrien préfère quant à lui plutôt se concentrer sur la consolidation et la protection des nouvelles frontières de l’empire. Dès le IIIe siècle après J.-C. les Goths du nord de la mer Noire descendent vers le Sud et traversent le Danube. Une puissante armée romaine conduite par l’empereur Gallien et deux futurs empereurs, Claude II et Aurélien les dominent à la bataille de Naissus en 269. À la suite de ce triomphe romain, les invasions s’estompent provisoirement et il se passera un siècle avant que les frontières de l’empire ne doivent à nouveau être défendues dans la région du Danube contre les Goths et les Sarmates. Puis de grandes invasions vont avoir lieu tout comme une immigration relativement pacifique due à l’arrivée brutale à l’est des Huns : certaines tributs en fuite sont alors autorisées à venir s’installer à l’abri des frontières de l’empire.
Aux IVe et Ve siècles l’Empire romain n’a plus les moyens ou ne se donne pas les moyens, pris par d’autres priorités d’empêcher de vastes tributs de Goths et d’autres peuples germaniques d’envahir la plaine danubienne. Quant aux Huns ils déferlent de leur côté depuis steppes asiatiques dans cette région et ravagent le sud-est de l’Europe allant même jusqu’à envahir l’Italie, berceau de l’empire. Aux Huns succèdent au siècle suivant et au VIIe siècle les tributs slaves. Elles élargissent leurs conquêtes et se mêlent aux populations thraces sur le territoire actuelle de la Bulgarie.
À la fin du VIIIe siècle Charlemagne repousse aux confins de l’Europe les Avars installés sur un large territoire depuis 567 (Khaganat) et les descendants d’Attila, unissant une bonne partie de l’Europe occidentale et centrale dans un Empire franc. Mais des Magyars, venus d’entre les rives de l’Oural et de la Volga et des Turcs des tribus des Petchenègues et des Curmans font alors leur apparition et s’installent en Hongrie.
Au XIe siècle, dix tributs magyars et khazars décident de s’unir contre les Petchenègues, les Russes et les Bulgares. La Hongrie et les Magyars, à la tête desquels se trouve le prince Geza, se convertissent au christianisme en 975, transformant cette fois le fleuve en une voie de pèlerinage plus sûre. Son fils, Étienne (István, vers 980-1038), est couronné premier roi de Hongrie à Budapest en l’an mille. Canonisé après sa mort il deviendra le saint patron de la Hongrie.
Voie fréquentée assidument au Moyen-âge par toutes sortes de gens aux convictions religieuses affirmées mais pas toujours bien intentionnés, la route danubienne subit des exactions de bandes appartenant à la fameuse « croisade du peuple » en 1096, croisade qui se vantent d’aller délivrer Constantinople et Jérusalem. Ces croisés peu scrupuleux pillent et rançonnent sur leur passage les populations danubiennes.
Les Vikings connaissent et utilisent également le Danube puis Les Génois établissent des comptoirs le long du fleuve. Mais les princes de Dobrogea et de Valachie leur disputent ainsi qu’aux byzantins le contrôle du delta du Danube. Au XVe siècle, celui-ci bascule pour une longue période sous le contrôle des Ottomans. Le Danube devient alors un axe de pénétration important pour les campagnes européennes de Soliman le Magnifique (1495-1566) et de ses armées qui remontent jusqu’en Europe centrale y compris sur le Danube. Belgrade sera conquise tout comme Pest et Buda. Vienne est deux fois assiégée par les Ottomans mais sauvée d’extrême justesse.
Le recul des ottomans pendant le XVIIe siècle permet à l’Empire autrichien de reprendre durablement des territoires danubiens. Le Prince Eugène de Savoie (1663-1736) et Charles de Lorraine (1643-1690) s’illustrent dans cette reconquête. L’empire autrichien rassemblera autour du fleuve et au delà des peuples aux langues, aux origines, aux identités et aux cultures multiples. La repeuplement des territoires occupés par les Ottomans est encouragé par les Habsbourg.  En 1786, 3000 colons souabes à qui on a promis des terres et d’autres avantages sont transportés par bateaux d’Ulm (Bavière) à Novi Sad (Voïvodine). L’opération durera 3 mois et sera régulièrement renouvelée avec plus ou moins de succès.
Napoléon et ses armées empruntent à leur tour les rives du Danube d’ouest en est pour occuper Vienne et une partie de l’Empire des Habsbourg puis poursuivent jusqu’en Russie et assiègent Moscou. L’empereur remporte en 1809, après avoir perdu celle d’Essling sur la rive gauche du fleuve, à proximité de Vienne, sa dernière grande victoire à Wagram.

Anton von Perger (1809-1876) : Napoleon quitte en barque la Lobau danubienne, huile sur toile, 1845

Le Traité de Vienne de 1815 octroie pour la première fois au Danube un statut de fleuve international sans que cela soit vraiment suivi d’effet. La Russie s’installe dans le delta du Danube pour la première fois en 1829 et établit sa souveraineté sur la rive orientale de la mer Noire. La Valachie annexe les ports danubiens de Turnu Magurele, Giurgiu et Brăila (rive gauche).
De 1838 à 1948 de nombreux traités tentent de concrétiser un statut international stable pour le fleuve mais les évènements tragiques de l’histoire contrarient à plusieurs reprises cette volonté. Les rives danubiennes et le le fleuve lui-même sont le théâtre de violents affrontements à l’occasion des deux conflits mondiaux.  En 1948, la Convention de Belgrade rétablit la Commission Internationale du Danube précédemment créée. Le cours du fleuve sera alors partagé et ce jusqu’en 1989,  entre les pays sous influence de l’URSS (le bloc communiste) et l’Europe de l’Ouest. Le fleuve est, durant cette période, le théâtre de nombreuses, dramatiques et parfois réussies tentatives d’évasion et d’émigration vers l’ouest.
Si la circulation sur le fleuve a été encore entravée par d’autres évènements plus récents comme la guerre dans l’ex-Yougoslavie, les efforts de l’UE et des pays riverains pour une coopération internationale dans de multiples domaines commencent à porter leurs fruits. Les populismes et les nationalismes qui secouent encore certains pays de cette région restent des menaces pour ces rives danubiennes qui ont pourtant connues par le passé de trop nombreux évènements tragiques.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mis à jour juillet 2023

 

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