Il ne faut pas sous-estimer l’influence du Danube dans les sources d’inspiration liées à la nature de Ludwig van Beethoven (1770-1927). Le compositeur est né à Bonn sur le Rhin la même année que son contemporain et poète de génie allemand, chantre des grands fleuves, Friedrich Hölderlin (1770-1843), originaire de Laufen sur le Neckar, une rivière qui prend aussi sa source en Forêt-Noire et dont on se souviendra qu’elle fut d’abord un affluent du Proto-Danube il y a des millions d’années. Il deviendra plus tard un affluent du Rhin après les bouleversements géologiques du continent européen.
Ludwig van Beethoven arrive à Vienne à l’âge de vingt-deux ans, en 1792, peu de temps après la mort de Mozart pour y étudier avec Joseph Haydn. Cette année-là a lieu le couronnement de François II de Habsbourg (1768-1835) comme empereur du Saint-Empire romain germanique (1792-1806) et qui deviendra empereur d’Autriche de 1804 à 1835 sous le nom de François Ier.
Le musicien habitera jusqu’à sa mort en 1827, soit en tout 35 des 57 années de sa vie, dans la capitale impériale autrichienne ou à proximité. Tout comme Joseph Haydn, il connaîtra, lors du deuxième siège de Vienne par les armées napoléoniennes en 1809, les désagréments et le bruit des canons qui l’affecteront beaucoup.
Beethoven changera de lieu de résidence de nombreuses fois pour diverses raisons. Il séjournera Ballgasse, Mölkerbastei, Tiefer Graben, Ungargasse, Laimgrubengasse, Auerspergstrasse, Josefstädterstrasse, Schwarzpanierstrasse, Hetzendroferstrasse, Döblinger Hauptstrasse, Eroicagasse, Grinzingerstrasse, Kahlenbergerstrasse, Probusgasse, Silbergasse… De nombreux autres lieux de la capitale autrichienne célèbrent également le souvenir de la présence du compositeur et honorent sa mémoire parmi lesquels l’impressionnante « Frise Beethoven » du peintre Gustav Klimt (1862-1918) qui se trouve au sous-sol du palais de la Sécession. Cette œuvre imposante (34 m de long), terminée en 1902 est une ode à la 9e symphonie. Les traditions musicales et les programmations des grandes salles de concerts viennoises confirment d’ailleurs cet attachement profond des Viennois à l’univers beethovénien. Vienne est sans aucun doute bien plus beethovénienne que mozartienne.
Beethoven réside en 1802 au nord de la capitale à Heiligenstadt à Döbling, aujourd’hui quartier de Vienne, au pied du Kahlenberg qui domine le Danube et où son médecin l’a envoyé se reposer de ses problèmes de surdité. C’est dans cette maison de la Probusgasse qu’il écrit à l’automne son testament dit de « Heiligenstadt », une lettre qui reflète son profond désespoir face au fait de ne plus pouvoir entendre : « Et mon malheur m’afflige doublement, car je dois rester méconnu, je n’ai pas le droit au repos dans la société humaine, aux conversations délicates, aux épanchements réciproques ; presque absolument seul, ce n’est que lorsque la plus haute nécessité l’exige qu’il m’est permis de me mêler aux autres hommes, je dois vivre comme un exilé, à l’approche de toute société une peur sans pareille m’assaille, parce que je crains d’être mis en danger, de laisser remarquer mon état – c’est ainsi que j’ai vécu les six derniers mois, passés à la campagne sur les conseils avisés de mon médecin pour ménager autant que possible mon ouïe ; il a presque prévenu mes dispositions actuelles, quoique, parfois poussé par un instinct social, je me sois laissé séduire. Mais quelle humiliation lorsque quelqu’un près de moi entendait une flûte au loin et que je n’entendais rien, ou lorsque quelqu’un entendait le berger chanter et que je n’entendais rien non plus ; de tels événements m’ont poussé jusqu’au bord du désespoir, il s’en fallut de peu que je ne misse fin à mes jours… »
La maison où séjourna Beethoven, Probusgasse et où le compositeur rédigea son testament dit « de Heiligenstadt », photo droits réservés
Le musicien reviendra séjourner à Heiligenstadt quelques années plus tard en 1808 dans une maison de la « Grinzingerstraße » où réside également un jeune poète et futur dramaturge autrichien d’une grande culture, Franz Grillparzer (1791-1872). Une amitié entre les deux hommes nait de cette rencontre ainsi qu’un projet de collaboration pour un opéra sur le thème soit de « Drahomira » (duchesse de Bohême), soit de « Mélusine ». C’est ce dernier thème que choisit Beethoven pour commencer à en écrire la musique mais aucun fragment ou esquisse de cette oeuvre n’a malheureusement été conservé. Le projet n’aboutit pas. Toutefois, Franz Grillparzer n’en prend pas ombrage et gardera toute sa vie une grande admiration pour le compositeur. Il rédigera un émouvant éloge pour ses funérailles le 29 mars 1827. C’est un autre musicien allemand, Conradin Kreutzer (1780-1849) qui mettra en musique le texte de l’écrivain. L’opéra sera créé à Berlin en 1833 au théâtre royal de Prusse.
Beethoven a également entretenu une longue relation d’amitié avec l’ingénieur bavarois originaire de Ratisbonne et comme lui viennois d’adoption, Johann Nepomuk Maelzel (1772-1738), l’inventeur du métronome.
Julius Schmid (1854—1935), L. van Beethoven, huile sur toile, vers 1901, collection du Wien Museum
Les relations de Beethoven avec Vienne sont contrastées en raison de son esprit d’indépendance et aussi de ses problèmes de surdité qui vont s’aggravant durant son séjour. « À Vienne, on n’a plus le sens de ce qui est bon et fort, bref de la vraie musique… On ne veut plus entendre ni mon Fidelio, ni mes symphonies… Rossini prime tout… Camelote et pianotage, voilà le goût de nos Viennois ! » Il est vrai que Vienne s’enfonce rapidement après la défaite, l’exil définitif de Napoléon et la nomination du prince Klemens Wenzel von Metternich (1773-1859) comme ministre des Affaires Étrangères de l’Empire autrichien puis comme Chancelier, dans une atmosphère absolutiste conservatrice qui ne s’accorde guère aux idées novatrices et au caractère du compositeur. La situation politique autrichienne sous contrôle de la police de Metternich, participe à l’apothéose du goût bourgeois et à son expression artistique, le style Bierdermeier au sein duquel la musique de salon, les ballets, la musique de danse (Ländler) vont occuper le devant de la scène. Cet art de vivre, cette atmosphère de divertissement et ce répertoire de musique légère ouvrent le chemin aux heures glorieuses de la valse des années Strauss.
Pendant sa jeunesse, le compositeur avait émis le voeux d’être pêcheur et plus tard, lors de son séjour viennois, il se rendait volontiers au bord du Danube, pour observer et discuter avec les gens du fleuve, bateliers, pêcheurs qui reconnaissaient de loin sa silhouette caractéristique. Beethoven appréciait tout autant les promenades au milieu des forêts alluviales, une manière pour lui de rompre avec l’atmosphère bruyante de la vie en ville. Il aimait aussi la compagnie de la comtesse Anna Maria Erdődy (1779-1837) qui venait dans sa maison de campagne de Jedlesee (rive droite), résidence connue aujourd’hui sous le nom de « Beethovenschlössl ». Pour ne pas emprunter le seul pont qui permettait de franchir le Danube à cette époque et être obligé de faire un détour, il traversait le fleuve avec le bac de Nussdorf à Jedlesee.
En souvenir de ces promenades de Beethoven à Jedlesee, un « Beethovenweg » a été inauguré en mai 2007. Des sculptures de quatre mètres de haut en forme de diapason brisé, en référence à la surdité du compositeur, imaginées par Manfred Satke et réalisées par Josef Frantsits, ont été installées le long de ce parcours.
Le « Beethovenweg » (chemin de Beethoven) à Jedlesee, photo droits réservés
Son frère, Johann van Beethoven (1776-1848), pharmacien d’abord à Vienne puis à Linz, achete en 1819 l’élégant petit château baroque de Wasserhof à Gneixendorf, sur la rive gauche du fleuve, à la hauteur de Krems (Basse-Autriche). Le musicien y séjourne avec son neveu Karl à partir du 29 septembre 1826, logeant dans la chambre à trois fenêtres au premier étage, à l’angle sud-ouest comme en témoigne une remarque de son neveu dans le cahier de conversation dont se servait le compositeur pour communiquer : « Devant tes fenêtres se trouve un cadran solaire ».
Le château de Gneixendorf qui fut autrefois la propriété de Johann van Beethoven (1776-1848) van Beethoven, photo droits réservés
Le cadran solaire, qui date de la fin du XVIIIe siècle, est situé entre la deuxième et la troisième fenêtre du côté sud. Beethoven y termina le 30 octobre le quatuor à cordes en fa majeur op. 135 et compose ensuite le nouveau finale du quatuor à cordes en si bémol majeur op. 130. Il est possible que le musicien se soit promené au bord du Danube à cette occasion. Au début du mois de décembre, il retourne à Vienne, tombe malade pendant le trajet et meurt trois mois plus tard.
Le monument commémoratif de Gneixerndorf dédié à Beethoven, photo droits réservés
Beethoven avait aussi proposé en 1823, peu de temps après le début des travaux de construction de la basilique saint-Adalbert de l’archevêché hongroise d’Esztergom sur le Danube, en amont de Budapest, de venir diriger sa Missa Solemnis pour la consécration du monument religieux mais le chantier s’éternisa pendant près de cinquante années avant que la basilique ne soit terminée. Sa consécration n’eut lieu qu’en 1856, près de trente ans après la mort du compositeur. Aussi, ce fut Franz Liszt (1811-1886) qui dirigea pour l’évènement sa « Graner Messe » ou « Messe d’Esztergom » le 31 août 1856 en présence de l’empereur François-Joseph de Habsbourg.
Le tombeau de Beethoven se trouve désormais au cimetière central de Vienne (groupe 32A, n°29), Simmeringer Hauptstraße 234, 1110 Vienne. Dans ce vaste espace les chevreuils et d’autres animaux sauvages tiennent compagnie aux célébrités comme aux plus modestes des morts.
Le tombeau du compositeur au cimetière central (Zentral Friedhof de Vienne)