Passau

   Passau ou le génie des eaux et de la confluence…
Surnommée « die schwimmende Stadt » (la ville flottante), « die Dreiflüssestadt » (la ville aux trois rivières) ou encore « die Nibelungenstadt » (la ville des Nibelungen) cette cité épiscopale est aussi singulière que Venise, tout à la fois baroque, colorée, resplendissante, séduisante, animée et bercée (parfois malmenée) par les flots de ses trois cours d’eau.

Fondée par les Celtes qui la baptisèrent Batava, ayant été régulièrement meurtrie par de graves inondations ainsi qu’en témoignent depuis l’an 1500 les marques de niveaux atteints par l’eau sur la façade de l’Hôtel-de-ville, la cité, siège depuis 739 d’une évêché qui fut parmi les plus puissantes et les plus riches du Saint-Empire Romain germanique, édifiée aux carrefour de grands axes économiques et commerciaux, a prospéré au confluent du Danube et de deux rivières, l’Inn (PK 2225,4) sur la rive droite, et l’Ilz (PK 2225,2, rive gauche), aux eaux noires surnommées autrefois « l’encrier renversé » par les équipages des bateaux à vapeur. Important port fluvial de commerce bavarois, aujourd’hui reconvertie principalement en port de croisières, elle mérite amplement son autre surnom de « Venise bavaroise. »
« Passau, a environ 15 000 habitants, est située au confluent du Danube, de l’Inn et de l’Ilz, a un aspect très pittoresque et est une très ancienne ville. Elle se compose de la ville proprement dite : Altstadt et Neumarkt, Innstadt et Ilzstadt, Anger et St. Nicolas. La ville fut fondée en l’an 100 avant Jésus-Christ, sous le le nom de Bojodurum. L’Innstadt a été bâtie aujourd’hui à sa place ; 26 ans après Jésus-Christ les légions romaines avançantes trouvèrent cette ville déjà fortement développée et l’agrandirent pour en faire un point stratégique important. Par la paix de Preßbourg du 20 décembre 1805, l’évêché de Passau est rattaché à la Bavière. La cité se développa depuis harmonieusement. Passau est le siège du tribunal et des administrations suivantes : Intendance des bâtiments, cour d’appel, tribunal d’arrondissement, justice municipale et tribunal suprême, administration de district, charge de finances, administrations des eaux et forêts, administration de la poste, station télégraphique, grand bureau de douane, municipalité, police et banque succursale… »
Alexandre François Heksch, Guide illustré sur le Danube de Ratisbonne à Souline, A. Hartleben, Éditeur, Vienne, Pest, Leipsic, 1883

Passau en 1858 par le peintre hollandais Kasparus Karsen (1810-1896)

Une histoire singulière
   Cité libre et dynamique du Saint-Empire Romain germanique, tournée très tôt vers le fleuve, sa navigation et son commerce, sur la route du sel et des croisades, centre de forge réputé à la Renaissance, elle fût érigée en évêché dès 739. Ses évêques acquièrent le statut de princes d’Empire en 1217 et règnent pendant trois siècles, jusqu’à la création d’évêchés en Autriche et en Hongrie, sur un immense territoire danubien qui s’étend jusqu’à Vienne. Au XVIIe Passau est en grande partie détruite par des incendies (1662 et 1680). Les évêques font appel à des architectes italiens pour la reconstruire. On raconte qu’en 1703, les troupes bavaroises assiégèrent la ville épiscopale. Les trois compagnies locales de soldats, peu motivées pour se battre contre leurs voisins, refusèrent le combat sous prétexte d’une fièvre subite. Quant au général en chef des troupes bavaroises d’alors, frustré et sans doute en recherche d’une quelconque action glorieuse, il alla se plaindre de n’avoir rencontré aucune résistance !       La cité demeure la résidence du prince-évêque jusqu’au début du XIXe siècle puis elle est annexée par l’Électorat de Bavière à la période de la sécularisation (1803-1805). Napoléon y séjourne en 1809 sur le chemin de Vienne et considère Passau comme la plus belle cité allemande.

Sur la façade de l’Hôtel de ville, les niveaux atteints par les différentes inondations, photo © Danube-culture, droits réservés

De la grandiose mise en scène baroque de son architecture, des perspectives toutes en rondeur et en courbes flatteuses de sa cathédrale saint-Étienne, de l’ambiance quasi insulaire de son coeur historique qui pointe en direction du confluent comme la proue d’un navire, de l’omniprésence de l’eau, émane incontestablement, comme pour sa soeur Ratisbonne (Regensburg), une atmosphère unique rappelant l’effervescence culturelle de la civilisation de l’Europe méridionale et la contribution de quelques-uns de ses éminents artistes à l’épanouissement de la cité.

Sissi (Elisabeth, princesse de Bavière et Impératrice d’Autriche-Hongrie s’arrêta ou visita Passau à plusieurs reprises, lors de son voyage en bateau vers Vienne en 1854, puis en septembre 1862 par le train depuis l’Autriche et en 1878 de manière anonyme sous le nom de C. Woog de Paris. photo © Danube-culture, droits réservés 

Passau est aujourd’hui une ville d’environ 55 000 habitants, restaurée avec beaucoup de soin et qui séduit de nombreux touristes de toute l’Europe qui la réjoigne, en particulier par bateau. Outre son patrimoine historique et architectural, elle possède une université et propose une offre conséquente d’événements culturels tout au long de l’année parmi lesquels « Les semaines européennes » (« Festspiele Europaïsche Wochene »).

Le coeur de Passau entre l’Inn et le Danube aux courbes harmonieuses, photo droits réservés

C’est à Passau que le Danube quitte l’Allemagne sur sa rive droite, après le confluent de l’Inn, pour entrer sur le territoire autrichien. Le fleuve ne devient toutefois autrichien sur ses deux rives qu’à partir du PK 2200.
La ville a subi en 2013 les inondations les plus importantes de son histoire depuis le Moyen-âge. Certains affirment qu’à Passau, c’est le Danube qui se jette dans l’Inn au débit plus important mais l’histoire officielle en a décidé autrement. Enfin provisoirement…
« Dans la ville de Passau/Régnait un évêque », dit la XXIe Aventure de la Chanson des Nibelungen. Cet évêque, dans le grand poème médiéval allemand, c’est Pilgrim, présenté comme l’oncle des Burgondes et de Kriemhild mais c’est l’histoire de Passau entière qui s’enveloppe dans une majesté épiscopale, toute en rondeur. Du Ve siècle jusqu’à nos jours, innombrables sont les éloges à la gloire et à la beauté de la « florissante » et « resplendissante » ville aux trois noms bâtie sur trois fleuves, la Venise de la Bavière, « schön und herrlich« , belle et magnifique, dont à une époque le diocèse s’étendit à l’Autriche et à la Hongrie et dont les évêques régnaient sur la Pannonie et sur le patriarcat d’Aquileia1. Passau a été une ville libre du saint empire, et surtout la résidence du prince-archevêque, jusqu’en 1803 ; du haut du coteau, l’Oberhaus — la forteresse épiscopale — tenait sous son regard et ses canons les citoyens et leur municipalité, assurant le maintien d’un ordre ponctué par la dévotion religieuse, l’autoritarisme clérical, la splendeur baroque, de solides études classiques et d’aimables plaisirs des sens…

Bateliers_Linz-Passau (Bartlett)

Bateliers de Passau et Linz, dessin de William Bartlett, 1844

« À Passau prévaut la rotondité, la courbe, la sphère — univers clos et achevé comme une balle bien protégée par le chapeau épiscopal qui la coiffe. Elle a une beauté de femme faite, la séduction accueillante et conciliante de ce qui est achevé. Mais la courbe de la coupole se fond dans celle, maternelle, de la rive, elle disparaît dans celle des eaux qui s’échappent et se dissolvent ; le côté insaisissable et léger de l’eau rend aérienne et légère la pompe des palais et des églises, qui apparaît mystérieuse et lointaine, irréelle comme un château dans un ciel crépusculaire.

Vue de Passau depuis Oberhaus, lithographie de Max Kuhn d’après Fridolin Maillinger, vers 1860, collection Bibliothèque Nationale d’Autriche, Vienne

À Passau, le voyageur sent que l’écoulement du fleuve est désir de la mer, nostalgie du bonheur marin. Ce sentiment de plénitude vitale, ce cadeau des endorphines et de la tension artérielle ou de quelque acide secrété par un cerveau bienveillant, l’ai-je vraiment éprouvé dans les ruelles et sur les quais de Passau — ou alors est-ce que je crois l’avoir éprouvé seulement parce que, attablé au Café San Marco, je suis en train d’essayer de le décrire ?… »
Claudio Magris, « Dans la ville de Passau » et « Le beau Danube ou le bel Inn bleu », Danube, coll. « L’Arpenteur », Gallimard, Paris, 1988

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Les fresques du plafond de la cathédrale de Passau, photo Danube-culture, © droits réservés

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Les orgues de la cathédrale, photo Danube-culture, © droits réservés

À propos du débit du Danube et de l’Inn…
   « La masse d’eau que l’Inn apporte est peut-être supérieure à celle du Danube ; elle1 est plus ou moins large2 mais ne vient pas de si loin. Grâce à l’Inn, le Danube emporte à la mer Noire toutes les eaux du Tyrol allemand et de la Suisse que le Rhin, le Rhône, le Tessin et l’Adige ne prennent pas pour la mer du Nord et la Méditerranée… »
Victor Duruy, Causeries de voyage, Première partie, De Paris à Vienne, 1864

Notes :
L’Inn est de genre masculin en allemand contrairement au Danube qui est de genre féminin.
2 Le pont de bois sur l’Inn a 700 pieds allemands (Füsse), celui qui est sur le Danube n’en mesure que 677. Le Füss = 324 millimètres, ce qui donne aux deux ponts 256 et 219 mètres.

« Passau est au confluent de trois cours d’eau ; la petite Ilz et le grand Inn s’y jettent dans le Danube. Mais pourquoi le fleuve formé de leurs eaux mêlées, et qui s’écoule vers la mer Noire, doit-il s’appeler et être le Danube ? Il y a deux siècles Jacob Scheuchzer dans son Hidrographia Helvetiae, page 301, observait que l’Inn, à Passau, est plus large et plus profond que le Danube, avec un débit plus fort, et même derrière lui, un parcours plus long.

Johann Jakob Scheuchzer (1672-1733), médecin et naturaliste suisse

Le docteur Metzger et le docteur Preusmann, qui ont mesuré en pieds la largeur et la profondeur des deux cours, lui donnent raison. Donc le Danube est un affluent de l’Inn et Johann Strauss est l’auteur d’une valse intitulée Le bel Inn bleu — L’Inn après tout pourrait revendiquer à plus juste titre cette couleur. Ayant décidé d’écrire un livre sur le Danube, je ne puis évidemment souscrire à cette théorie, de même qu’un professeur de théologie dans une faculté catholique ne peut nier l’existence de Dieu, objet même de sa science. Par bonheur c’est justement la science qui me vient en aide, en l’occurrence la perceptologie, selon laquelle si deux fleuves mêlent leurs eaux on considérera comme fleuve principal celui qui, au confluent, forme un plus grand angle avec la partie qui se trouve en aval. L’oeil perçoit (établit) la continuité et l’unité de ce fleuve, et perçoit l’autre comme son affluent. Faisons donc confiance à la science et évitons, tout au plus, par prudence, d’observer trop longuement le triple confluent à Passau et de passer trop de temps à vérifier l’ampleur dudit angle, parce que l’oeil, à force de fixer longuement un endroit, se trouble et voit double, ce qui envoie à tous les diables la clarté de la perception, et risquerait d’occasionner de vilaines surprises au voyageur du Danube.
Ce qui est certain, c’est que le fleuve va à val, comme celui qui le suit ; peu importe d’établir avec rigueur d’où viennent toutes les eaux qu’il emporte et qui confondent avec les siennes. Aucun arbre généalogique ne garantit à 100% le sang bleu. La foule hétérogène qui se presse sous notre crâne ne peut présenter un inattaquable certificat de naissance, elle ne sait d’où elle vient ni quel est son nom, Inn ou Danube ou autre, mais elle sait où elle va et comment elle finira. »

Claudio Magris, « Dans la ville de Passau » et « Le beau Danube ou le bel Inn bleu », Danube, coll. « L’Arpenteur », Gallimard, Paris, 1988

Notes :
1Une des villes les plus importantes de l’Empire romain, fondée en 181 avant J.-C., port maritime, aujourd’hui située dans la province italienne du Frioul. Le patriarcat d’Aquileia, une entité politico-religieuse, a existé de 568 jusqu’à 1751. 

2Johan Jakob Scheuchzer  (1672-1733), « Von dem Wasser des Schweizerlands », in  Natur = Historie des Schweizerlandes, Zweite Theil, Bei Heidegger, Zürich, 1752, p. 31 ; d’après le récit de deux médecins, le docteur Metzger et le docteur Preussmann. J. J. Scheuchzer affirme dans ce même article sur le Danube qu’il ne veut pas se prononcer sur le lieu exact de la source du fleuve.

Collectivité locale de Passau
www.passau.de

Office de tourisme (page en langue française)
www.tourismus.passau.de

Culture
Festival des semaines européennes (juin-juillet)
www.ew-passau.de
Cathédrale saint-Étienne (Dom St. Stephan), achevée en 1668. L’orgue est le plus grand instrument de ce type au monde.
Musée du diocèse et trésor de la cathédrale (Domschatz und diöcezanmuzeum)
www.bistum-passau.de
Musée de le forteresse épiscopale (OberhausMuseum) :
www.oberhausmuseum.de
La construction de la forteresse remonte au XIIIe siècle. De la batterie « Linde », on bénéficie d’une vue magnifique sur la ville et sur l’étonnant confluent du fleuve et des deux rivières dont on distingue parfaitement les couleurs respectives avant qu’elle ne se mélangent.
Musée d’art moderne (Museum Moderner Kunst)
www.mmk-passau.de
Musée du verre de Passau (Glasmuseum Passau)
www.glasmuseum.de
Musée romain « Kastell Boiotro » (RömerMuseum Kastell Boiotro) 
www.stadtarcheologie.de

Grande salle de l’hôtel de ville (Großer Rathaussaal)

Hébergement
Hôtel Altstadt-Hotel Passau
www.altstadthotel.de
Confortable, central et à proximité du confluent du Danube, de l’Inn et de l’Ilz

Hôtel Wilder Mann
www.wilder-mann.com

Hôtel de tradition à proximité du Danube dans la vieille ville, chambre de Sissi.

Hôtel Koenig
www.hotel-koenig.de
Près de l’embarcadère et de la piste cyclable

Pension « Weisser Hase »
www.weisser-hase.de

Pension « Zur Goldenen Sonne »
www.pension-goldene-sonne.de

 Les croisières : Passau est l’un des plus grands ports de croisière sur le Danube.

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Donauschiffahrt Wurm & Noé
www.donauschiffahrt.de
   De nombreuses possibilités de croisières simples et à thème avec cette compagnie allemande aux bateaux confortables, très présente sur le Danube tout au long de l’année. En été et certains jours on peut se rendre en bateau de Passau à Vienne. La remontée et l’arrivée sur Passau en bateau, en particulier au coucher du jour ou la nuit, est exceptionnelle.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mise à jour novembre 2023

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