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Konrad Lorenz, scientifique des rives du Danube, pionnier de l’éthologie
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Theodor W. Adorno (1903-1969), philosophe, sociologue, musicologue, critique, compositeur allemand naturalisé américain, fut le membre le plus éminent de l’École de Francfort et appartient, comme compositeur, à la seconde École de Vienne. Il séjourna et étudia à Vienne avec Alban Berg (1885-1935) dont il devient l’ami ainsi qu’avec l’écrivain et journaliste Karl Kraus (1874-1936), pourfendeur de « l’apocalypse joyeuse viennoise ».
T. W. Adorno fut très critique envers le rationalisme des Lumières et les industries culturelles.
C’est une grande joie que d’avoir trouvé et de pouvoir mettre sur ce site ce (trop) court, magnifique et émouvant texte autobiographique (ils sont rares chez Adorno), tiré d’Amorbach et autres fragments biographiques, récemment traduit et publié en français qui évoque l’atmosphère du fleuve, de ses rives et de la plaine du Marchfeld en aval de Vienne.
« Au Danube-Auen1, un jour de semaine. Curieuse, cette profonde solitude au bord du fleuve, à quelques kilomètres seulement de Vienne. Un sortilège puztalien2 tient les hommes éloignés du paysage et de la flore déjà orientalisants, comme si cet espace ouvert sur l’infini souhaitait n’être pas dérangé. Un homme d’État autrichien du XIXe s’exprimait en ces termes : l’Asie commence à l’Est du Rennweg3. Ici, même l’industrie paraît hésitante. La sauvagerie du paysage serait restée archaïque si les Romains n’y avaient laissé des traces et si les derniers villages allemands ne s’étaient aventurés jusqu’aux frontières slovaque ou hongroise.
De beaux châteaux comme ceux de Niederweiden et de Hof, tous deux en rénovation, bravent l’abandon des lieux par l’Histoire. Le jardin de l’un deux est séparé de la rue, des morceaux de statues et de décorations en pierre gisent épars : le XVIIIe se fait Antiquité. On aperçoit depuis de nombreux endroits la forteresse de Pressburg4 que la grande route esquive en un virage serré, comme dans Le château de Kafka. Aspern5 est l’un de ces lieux.
Vue sur le Danube et les Donau Auen depuis le Brausnberg (rive droite) sur le sommet duquel se tient un oppidum celte (photo droits réservés)
Un regard depuis le sommet du Braunsberg6 au-delà du fleuve suffit pour qu’on ait, même entièrement dépouvu d’aptitude militaire, l’impression d’être un général , tant le terrain qui s’étend à perte de vue semble inévitablement destiné à toutes les batailles qui y furent livrées. On associe au nom du village Petronell celui de Pétrone7, mais aussi un aromate qui n’existe pas. Là où la Fischa8 se jette dans le Danube se trouve Fischamend9, avec son célèbre restaurant de poisson, où l’on se sent à la maison comme nulle part ailleurs qu’au bout du monde. »
Theodor W. Adorno, Amorbach et autres fragments biographiques, traduit de l’allemand par Marion Maurin et Antonin Wiser, Éditions Allia, Paris, 2016
« La barbarie perdure aussi longtemps que les conditions qui ont permis cette régression persistent. C’est cela l’horreur totale. »
T.W. Adorno
Eric Baude, 21 Juin 2018