Le Bisamberg, colline danubienne viennoise, l’impératrice et le poète…

   Bien qu’en étant séparé par le Danube, la colline du Bisamberg (rive gauche), haute de 358 m, habitée depuis l’Antiquité (les Celtes y édifièrent un oppidum comme sur le Hundsberg au-dessus du Danube et de Hainburg sur la rive opposée) appartient géologiquement au vieux massif boisé de la Forêt viennoise (Wienerwald). C’est donc le contrefort le plus au nord des Alpes. Les pieds du Bisamberg sont entourés de plaines couvertes d’alluvions et de loess qui ont été déposés par le Danube pendant la période glaciaire. Sur son versant sud, sec, chaud et pentu poussent des forêts de chênes pubescents bien adaptés à la sécheresse tandis que des forêts mixtes dominent sur les pentes du côté ouest plus douces et plus humides. À l’origine boisées, de grandes surfaces du Bisamberg furent défrichées et convertis en vignobles. Le déboisement ont donné naissance aux surfaces de type steppique actuelles.

   La colonne commémorative de l’impératrice Elisabeth d’Autriche (1837-1898) se trouve au sommet de la colline du Bisamberg (358 m, Wienviertel, Basse-Autriche) située à la hauteur de Korneuburg (rive gauche). Ce monument de style néogothique fut érigé par le comité des femmes de Korneuburg le 11 juin 1899 en l’honneur de l’impératrice assassinée à Genève le 10 septembre 1898.

La colonne commémorative dédié à Élisabeth d’Autriche au sommet du Bisamberg, en contrebas on aperçoit le Danube photo droits réservés

   Sissi aimait se tenir au sommet de cette colline de la rive septentrionale et profiter de la vue magnifique de ce belvédère habité depuis l’antiquité au-dessus du Danube. Elle y monta avec ses dames de la cour en 1856 pour assister à des manoeuvres militaires. Elle qui détestait l’étiquette rigide de la cour impériale de Vienne, éprouvait-elle sans doute dans cet environnement naturel foisonnant à une distance raisonnable de celle-ci, l’envie de méditer sur le cours de sa vie, sur celui du fleuve qui l’avait amené à Vienne et de son lointain amont, métaphore de ses années de jeunesse et d’insouciance entourée des siens à la cour des Wittelsbach en Bavière.
   Un monument dédié au poète, « Wanderer » et « bon à rien » Joseph von Eichendorff (1788-1857), chantre du Danube et dont des textes ont été mis en musique par Robert Schumann, Hugo Wolf et Richard Strauss, a été également érigé sur les pentes du Bisamberg. Quelques Heuriger entourés de vignobles permettent de se retrouver à la belle saison en bonne et joyeuse compagnie et de goûter le vin local dont les vignes s’épanouissent sur les coteaux de la rive gauche.

Le monument consacré à Joseph von Eichendorff, photo droits réservés

Le réservoir d’eau du Bisamberg
Il n’y a pas que des vignes et d’autres type de végétation dans l’environnement du Bisamberg. Un réservoir de la Société municipale des eaux de Vienne (Wiener Wasserwerke) a été construit au pied de la colline à Stammersdorf (versant est) entre 1993 et 1996. Il s’agit du premier réservoir «transdanubien» (région de la rive gauche du fleuve) et de la première installation de ce type construite sur un terrain librement accessible au public.
Le réservoir a une capacité de 60.000 mètres cubes d’eau potable ce qui permet d’approvisionner les quelque 100.000 foyers des quartiers de Floridsdorf et Donaustadt (rive gauche) pendant environ deux jours en cas d’urgence.
L’objectif de la construction du réservoir était de stocker et d’assurer ainsi la sécurité d’approvisionnement de ces quartiers  ainsi que de stocker de l’eau potable provenant des conduites des hautes sources viennoises afin de couvrir les pics de consommation et de réduire ainsi les fluctuations de pression. Les prélèvements d’eau dans la station d’eau souterraine de la Lobau peuvent ainsi être allégés.
Le réservoir n’est raccordé au réseau de distribution de la Wiener Wasserwerke que par une seule canalisation.
La décoration artistique du réservoir de Bisamberg a été confiée à Gottfried Kumpf (1930-2022). La façade ondulée du réservoir est en béton teinté en bleu et décorée, tout comme l’esplanade, de figures de poissons, de naïades et d’un homme aquatique en acier émaillé. La figure préférée de Gottfried Kumpf, « l’asocial » y est associé.

Le réservoir du Bisamberg décoré par Gottfried Kumpf, photo droits réservés

Le diable sur le Bisamberg (légende danubienne)

   Un paysan était riche, sa fille seule héritière belle et courageuse. Fallait-il s’étonner que son père veuille lui trouver un gendre qui soit au moins à la hauteur de son cœur sur le plan financier ? Les candidats au mariage défilaient innombrables. Un beau jour d’été, un modeste valet, pris d’un coup de folie  se rendit rendu à son tour chez le riche paysan pour lui faire part de sa demande en mariage. Malgré la bonne réputation du valet, efficace, fiable, travailleur, le paysan qui connaissait le dénuement dans lequel il vivait, lui cria « Hors d’ici pauvre gueux ! Ne reviens que lorsque tes poches seront pleines d’argent » ! Sa fille, choquée par les paroles grossières de son père, s’en alla prier pendant que le valet, quant à lui, se réfugiait à proximité sous un chêne du Bisamberg. Alors qu’il était assis, méditant son échec, une silhouette pleine de bonne humeur monta la pente dans sa direction et, s’approchant du valet, lui demanda ce qui le tracassait. Quand l’étranger sut ce qu’il en était, il se contenta de dire : « Eh bien, l’aspect financier ne pose aucun problème, je peux  te donner un coup de main. J’aimerais juste une petite contrepartie, que tu me donnes ton âme. C’est peu de chose en récompense de mon aide ! Que penses-tu de ma proposition ? » Le valet qui n’était pas des plus idiots et qui avait compris qu’il avait affaire au diable, réfléchit un instant puis tendit la main et prononça un vigoureux « Marché conclu » ! A peine le diable s’apprêtait-il à saisir la main du valet que celui-ci la retira et déclara avec malice : « Ne me donne que modérément de tes richesses, je veux être sûr de pouvoir te rembourser. » Le diable, étonné de cette clairvoyance, se contenta de dire : « Quand est- que tu veux me me rembourser ? » Le valet répondit : « Dans quelques mois, quand ce chêne au pied duquel nous sommes assis n’aura plus de feuilles ! » Le diable, sûr de son affaire, se mit à s’esclaffer joyeusement et approuva : « Je peux bien attendre jusque-là ! » Sur ce, il  remit au valet une petite feuille d’or qu’il devait enterrer sous un pommier des environs. Une nuit plus tard un trésor apparaîtrait au même endroit. Aussitôt dit, aussitôt fait…
Le riche fermier ne s’étonna pas de la subite richesse du valet et n’eut plus rien à redire au mariage de sa fille avec lui. Aux premiers jours de l’automne, une fois la cérémonie du mariage et le stress de la récolte passés, le serviteur se souvint de sa rencontre et du marché passé avec le diable. Il confessa tout à sa femme. Mais celle-ci ne s’inquiéta pas, persuadée de la protection efficace de ses prières quotidiennes. L’automne avançait. Les feuilles tombèrent tout autour de la ferme et le valet se sentait angoissé. Il quittait régulièrement les rives du Danube pour grimper sur le Bisamberg. Le chêne sous lequel il avait conclu son pacte avec le diable, contrairement aux autres années, verdissait de plus en plus. Bien que le froid s’installa et qu’il se mit à neiger, les feuilles de chêne restaient solidement accrochées à leurs branches, passant du vert au jaune, au rouge puis au brun puis de nouveau au vert sans qu’aucune d’entre elles ne tomba au sol. L’hiver dura longtemps cette année mais les feuilles tenaient bon. Le diable, agacé et impatient jurait à haute voix. Les dernières feuilles du chêne qui avait poussé au printemps précédent ne s’envolèrent vers la vallée du Danube qu’au moment où de nouveaux bourgeons apparurent, frais et pleins de sève.
Il en fut ainsi longtemps jusqu’à ce que, par une nuit d’automne sombre et orageuse, le diable en colère perdisse tout contrôle. Il se jeta sur les feuilles et les branches du chêne, les déchira et les cassa en hurlant. C’est depuis ce temps que les feuilles du chêne ont une forme découpée et courbée.

Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, octobre 2022

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