Le canal Ludwig

   L’idée plus ou moins réalisable, de relier les grands fleuves d’Europe à la mer Noire, à la mer du Nord ou à la mer Baltique par des canaux remonte à l’Antiquité. Cette idée a bien évidemment fasciné de nombreux souverains et personnalités historiques et politiques à travers les siècles et continue de fasciner encore aujourd’hui comme en témoigne le projet de canal sur le territoire bulgare entre la ville de  Roussé (Ruse) sur la rive droite du Danube et Varna, port bulgare sur la mer Noire ou le projet de canal du Val d’Asparoukh 680 toujours en Bulgarie, projet hérité de l’époque communiste et qui est revenu sur le devant de la scène il y a une dizaine d’années. De nouveaux autres projets plus ou moins pharaoniques, souvent préoccupants sur le plan environnemental et pour certains d’entre eux bénéficiant de l’appui fort intéressé de la Chine, sont toujours à l’étude sur le continent européen. Beaucoup d’entre eux n’ont pu toutefois jusqu’à maintenant se concrétiser en raison de leur coût ou de situations politiques et économiques défavorables.

On retiendra de ces réalisations ou utopies aux fortunes diverses celles du canal Ludwig (1836-1845, 178 km), de la tranchée Mindorf (1939-1942), du projet nazi abandonné du canal Danube-Oder-Elbe (320 km dont seuls les premiers kilomètres ont été réalisés par des prisonniers de guerre et des déportés), du canal Rhin-Main-Danube commencé en 1960 et terminé en 1992 après bien des péripéties (171 km) ou encore du canal Danube-mer Noire (95,6 km) creusé sous le régime communiste (1947-1987) avec l’aide de prisonniers et de détenus politiques qui furent nombreux à y perdre la vie.
Un lourd tribut a été payé par l’environnement et les hommes dans l’histoire de ces canaux, tribut qui pose évidemment la question de la nécessité de ce type de réalisations.

 

Le canal Ludwig de Kelheim à Bamberg construit de 1836 à 1845, le canal Rhin-Main-Danube achevé en 1992 et les différentes tentatives non achevées entre 1688 et 1959), sources www.rmd.wasserstrassen.de

La Fossa Carolina
   « Lorsque l’empereur Charlemagne projetait son mariage avec l’impératrice Irène de Constantinople, il imagina pouvoir établir une communication directe entre Constantinople et le Rhin, en reliant ce fleuve avec le Danube. Le canal de jonction devait être tiré de Weissenburg, entre l’Altmühl et la Rednitz, et suivre le fond de la dépression qu’on a signalée en parlant du premier de ces deux cours d’eau. Il semblerait que ce projet reçut un commencement d’exécution, ce dont témoignerait la Fossa Carolina se trouvant près du village de [Treuchtlingen et du quartier de] Graben sur une carte de Bavière gravée à Munich. Cette entreprise gigantesque qui exigeait sans doute plus de connaissances qu’on n’en possédait à cette époque, ne fut cependant abandonnée, dit-on, que parce que le mariage, qui devait réunir, sur une seule tête, les deux empires d’Orient et d’Occident, ne fut pas conclu. »   De Castres, Essai de reconnaissance militaire sur le Danube, « Deuxième Partie, Description du second bassin partiel ou de la portion du bassin total du Danube, qui s’étend entre le confluent de l’Inn à Passau, et celui de l’Ypoli au dessous de Gran en Hongrie. », note p. 82, Paris (?) 1826

La « Fossa Carolina »

    La première tentative de liaison Rhin-Main-Danube remonte à 793 avec l’empereur Charlemagne qui fait creuser (en partie ?) un canal entre la rivière Altmühl, affluent du Danube et la Rezat, sous-affluent du Main, ouvrage qui prend le nom de Fossa Carolina.
6000 hommes sont mobilisés pour les travaux. Il subsiste encore un doute aujourd’hui sur l’achèvement et le fonctionnement intégral de la Fossa Carolina. D’après certains historiens celui-ci n’aboutit pas pour différentes raisons, intempéries, impératifs militaires, abandon du projet.Ce canal présentait-il un intérêt stratégique et commercial ? Là aussi la réponse divise les spécialistes.
L’idée de construire un canal entre les deux fleuves s’estompe ensuite jusqu’en 1656 où elle réapparait mais le moment est alors peu propice économiquement à sa réalisation. C’est seulement en 1830 que le roi Louis Ier de Bavière relance le projet et en confie l’étude et la réalisation à l’ingénieur Heinrich Joseph Alois, Chevalier von Pechmann (1774-1861). Les travaux commencent en 1836 et dès 1843, le roi peut inaugurer la partie Bamberg – Nuremberg puis, deux ans plus tard, la totalité du canal à petit gabarit est ouverte à la circulation, de Kelheim à Bamberg via Nuremberg soit 178 km en tout.
Le canal Ludwig ou « Canal du roi Louis », un des projets du roi Louis Ier de Bavière (1786-1868), à qui l’on doit aussi le « Walhalla« , ce temple néo-grec danubien consacré aux héros allemands qui trône pompeusement au-dessus du fleuve à Donaustauf (rive gauche, 10 km en aval de Ratisbonne) est le prédécesseur du canal à grand gabarit Rhin-Main-Danube inauguré en octobre 1992.1
   Prouesse technique pour son époque avec ses 101 écluses  mais trop étroit, gouffre financier au niveau de son entretien et concurrencé par le chemin de fer, le canal Ludwig, endommagé pendant la seconde guerre mondiale ferme définitivement ses écluses en 1945 (1950 selon certaines sources) soit un siècle après son inauguration. Quelques tronçons sont encore maintenus en activité par le Land de Bavière au titre du patrimoine et des activités touristiques. Une piste cyclable le longe sur une partie de son cours. Un monument en hommage à la construction du canal a été édifié à Erlangen.

Marchandises transportées (en tonnes) sur le canal Ludwig et résultat d’exploitation en florins bavarois (Gulden) entre 1843 et 1912

Le Canal Ludwig

Le canal Ludwig en 1846, détail d’une carte murale de la Moyenne-Franconie de Georg August Stephan Dewald, 1846, Musée historique allemand de Berlin

« Le canal Louis a cent soixante-quatorze kilomètres (vingt-trois milles et demi) de Bamberg sur le Mein à Kelheim sur le Danube, en amont de Ratisbonne ; largeur, au sommet, quinze mètres cinq centimètres. À partir du point de partage, il y a soixante-neuf écluses pour descendre à Bamberg par une pente de quatre-vingt-dix-sept mètres, vingt-cinq pour racheter jusqu’au Danube une pente de quatre-vingt mètres. À la fin d’octobre 1854, les dépenses s’élevaient à seize millions de florins ; quatre mille bateaux ou train y passèrent dans le courant de cette année, portant un peu plus de deux millions et demi de quintaux. La recette brute fut de cent quarante-huit mille huit cent quarante-huit florins, le revenu net de quarante-neuf mille six cent douze francs. C’est donc pour le moment une détestable affaire. »
Victor Duruy (1811-1894), « À Ratisbonne, Une ville au clair de lune. — Ratisbonne est une nécessité géographique. — Le canal Louis. — La navigation du Danube », « De Paris à Vienne » in  Causeries de voyage, De Paris à Bucarest, pp. 335-?, Paris, Librairie de Louis Hachette et Cie, 1864, note p. 342 

 

Loi sur la construction d’un canal de communication entre le Rhin et le Danube, 1834

Port de Kelheim sur le canal Ludwig, photo © Danube-culture, droits réservés

Pont canal au dessus de la rivière Schwarzach, sous-affluent du Danube, photo droits réservés

L’Alma-Viktoria (1933), ancienne embarcation du canal pour le transport de marchandises diverses, aujourd’hui reconvertie en barque pour les touristes, photo Derzno, droits réservés

Eric Baude, mise à jour novembre 2023, © Danube-culture, droits réservés

Notes :
1Le canal Main-Danube, totalisant 171 kilomètres, a été ouvert à la circulation le 25 septembre 1992. Il commence à Kelheim an der Donau, puis traverse la vallée de l’Altmühl et la chaîne de montagnes basses du Jura franconien. Dans cette zone, c’est la voie navigable la plus haute d’Europe (406 mètres d’altitude). Il se prolonge plus loin jusqu’à Nuremberg, puis passe dans la Rednitz près de Forchheim afin d’établir la connexion avec le Main à 7 kilomètres au-dessous de Bamberg. 16 écluses permettent le franchissement du relief. Son financement a coûté 2, 3 milliards d’euros dont 20% environ ont été consacrés à la protection de l’environnement.  Sources : www.rmd.wasserstrassen.de

Le monument consacré à la construction du canal Ludwig à Erlangen : « Le Danube et le Rhin reliés pour la navigation, une oeuvre tentée par Charlemagne, à nouveau entreprise et réalisée par le roi Louis Ier de Bavière, 1846″, photo droits réservés

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