Le bassin du Danube, un espace cohérent ? par Jacques Bethemont

   Jacques Bethemont (1928-2017), géographe, professeur émérite à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, a été l’un des plus grands spécialistes des fleuves. Nous citons ici un court extrait de son excellent livre Les grands fleuves, Entre nature et société, consacré aux dysfonctionnements de l’espace danubien. Un bassin fluvial complexe et à l’espace toujours sous tension…

« Les dysfonctionnements de l’espace danubien »

« La majeure partie du Danube a longtemps été unifiée dans le cadre de l’Empire austro-hongrois qui avait obtenu le principe de l’internationalisation du fleuve lors du traité de Vienne. Bien avant cette date, les autrichiens avaient entrepris d’améliorer la navigation sur le cours du fleuve dans les limites d’un espace impérial qui allait de l’aval de Passau à l’amont de Belgrade [Semlin ou aujourd’hui Zemun] jusqu’en 1878. Par la suite, le recul de l’Empire ottoman et l’indépendance de fait de la Valachie et de la Bulgarie permirent d’étendre le système navigable sur le cours aval du Danube. Restait le problème de la Serbie dont il est inutile de préciser qu’il ne fut pas résolu du temps de l’Empire.

Le brassage des invasions et le reflux de la puissance turque avaient laissé dans un espace souvent uniforme, une mosaïque de peuples que séparaient leurs langues ou leurs religions avec, parfois, des frontières abolies mais encore sensibles comme celle qui séparait la Hongrie de la Valachie. Dans ce contexte social et politique délicat, le Danube apparaissait comme un facteur d’unité, d’autant que les problèmes frontaliers n’empêchaient pas l’acheminement vers les ports de la mer Noire du blé destiné à l’Europe du Nord et au Royaume-Uni1. Cette activité amenait une incessant brassage de population et l’existence d’une culture danubienne paraissait évidente en dépit de la diversité des langues, jusqu’à ce que le sort des armes et l’exacerbation des nationalismes amènent le démembrement de l’Empire austro-hongrois.

Le Bassin du Danube n’est donc pas assimilable à un espace cohérent et il reste pour l’essentiel affecté par des tensions frontalières qui dégénèrent régulièrement en conflits armés dont le dernier en date ne paraît pas définitivement clos. Dans ce contexte difficile, la Commission du Danube joue un rôle de conciliation qui pour être officiel n’en est pas moins modeste2. Témoignent de ces multiples contradictions, d’un côté l’échec de Gabčikovo entrepris dans le cadre de deux nations réunies dans un même ensemble économique, la CAEM (COMECOM), de l’autre la réalisation des deux barrages des Portes-de-Fer, mené à bien dans le cadre d’une coopération entre deux nations, la Roumanie et la Yougoslavie, appartenant à deux ensembles supposés antagonistes. »

Notes :
1 grâce au travaux de la Commission Européenne du Danube issue du Traité de Paris de 1856

2 avec désormais d’autres organismes internationaux en particulier dans le domaine environnemental parmi lesquels l’IPCDR (www.icpdr.org), The International Commission for the Protection of the Danube River, ou la structure  (danubeparks.org).

On lira également avec intérêt le rapport de la Commission au Parlement Européen, au Conseil, au Comité Économique et Social Européen et au Comité des Régions concernant la stratégie de l’Union européenne pour la région du Danube qui date… du 8 décembre 2010 ! L’UE a-t-elle une réelle et cohérente stratégie pour la région du Danube ? On peut en douter !
https://ec.europa.eu/regional_policy/information-sources/…

Sources :
Bethemont Jacques, « Le fleuve et la structuration de l’espace » in Les grands fleuves, entre nature et société, « Le fleuve et la structuration de l’espace », Armand Colin/VUEF, Paris 2002, p. 228

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