Quand les eaux du Danube se réchauffent : petits poissons… mais grand problème !

Le réchauffement climatique influence la température des eaux du Danube et met en péril le fragile équilibre de la faune aquatique. Les gobies, originaires de la région de la mer Noire et de la mer Caspienne remontent désormais le fleuve et s’y multiplient de manière explosive. Petits poissons… mais grand problème !

C’est par une bien mauvaise surprise que s’est conclue la saison traditionnelle de l’année 2018 des pêcheurs à Grunddorf sur la Kamp, un affluent de la rive gauche du Danube, dans l’arrondissement de Krems en Basse-Autriche. Au lieu des espèces locales pêchées habituellement comme les truites, les ombres ou les barbeaux (un poisson très exigeant sur la pureté de l’eau) plus de vingt pêcheurs ont capturé une centaine de gobies de la mer Noire et un seul poisson indigène, un Chevaine de la Kamp. Ces captures montrent ce qui est en train de se passer dans les eaux du fleuve et des affluents du Danube et dont ne se préoccupent guère les institutions, le grand public et la foule de touristes et de croisiéristes du monde entier toujours plus nombreux ces dernières années. Les gobies et d’autres espèces invasives ont commencé à envahir et coloniser les eaux fluviales autrichiennes dans certaines zones au détriment des poissons indigènes. Ils se nourrissent en particulier des alevins des poissons locaux et nul ne ne sait comment s’en débarrasser. Peu de recherches ont pour le moment été initiées dans ce domaine.

Espèces étrangères (1-6) et invasives ayant colonisées le Danube et certains de ses affluents (7-9) : 1) poisson-chat, 2) Centrarchidae, 3) Épinoche, 4) Achigan à grande bouche ou Black-bass, 5) Carpe de roseau ou carpe chinoise, 6) Carppe argentée, 7) Gobie marbré, 8) Gobie de Kessler, 9) Gobie à taches noires.

Espèce invasive
« Les gobies à taches noires sont déjà la principale espèce de poisson dans certaines parties du Danube », rapporte Wolfgang Hauer de l’Office fédéral autrichien de la gestion de l’eau. Ces gobies sont des poissons euryhalins, c’est-à-dire qu’ils s’adaptent aux eaux salées comme aux eau douces. Ils sont originaires de la mer Caspienne et de la mer Noire et ont probablement trouvé leur chemin à travers le Danube grâce aux larves qui voyagent accrochées sur les proues des bateaux naviguant sur le fleuve ou ont été amenées par différents oiseaux. Ils ont ensuite continué à remonter le Danube et pénétré dans ses affluents et ce jusqu’aux eaux fluviales allemandes par l’intermédiaire du canal Rhin-Main-Danube.

Selon le biologiste autrichien Michael Jung, le gobie à taches noires est actuellement la variété de gobie dominante dans le Danube et ses affluents. Elles s’est imposée face à d’autres gobies qui avaient été introduites dans le fleuve précédemment comme le gobie de Kessler (gobie à grosse tête) ou le gobie marbré originaire des fleuves asiatiques. La propagation du gobie à taches noires dans le Danube autrichien est extrêmement préoccupante.

Patente de pèche pour le Danube et ses affluents accordée par l’empereur Maxilimien Ierd’Autriche en 1506

Quant à Manuel Hinterhofer, secrétaire général de la Fédération autrichienne de la pêche, il hésite entre optimisme et pessimisme : « Les poissons domestiques font preuve d’une grande capacité d’adaptation mais l’arrivée de ces espèces très agressives se fait principalement à leurs dépens. Il n’y a aucune chance de pouvoir revenir à la situation antérieure. »

« Ce sont évidemment les aménagements et les empierrements successifs des rives du Danube qui donnent aux gobies de bonnes conditions de vie »  explique Ferdinand Hauer. Les gobies ont des ventouses sur les ailettes avant avec lesquelles ils peuvent résister aux forts courants, un grand avantage sur les espèces locales qui préfèrent en général les haut-fonds sablonneux et les zones peu profondes. Un grand nombre de celles-ci ont été détruites au cours des dernières décennies lors de l’aménagement du fleuve et de ses affluents. Elles ne réapparaissent que peu à peu grâce à des mesures prises pour la restauration écologique du lit du fleuve. Ces mesures permettent l’installation d’escaliers à poissons… qui ouvrent également le chemin aux espèces envahissantes !

Selon Ferdinand Hauer « Certains collègues ont déjà tout simplement prédit la fin de la pêche sportive ». Les pêcheurs traditionnels vont peu à peu disparaître et avec eux le souvenir de leur enfance et de la Kamp, cette si jolie rivière qui, comme comme un torrent de l’Alaska, regorgeait autrefois de poissons remontant son cours pour y rejoindre leurs discrètes frayères.

Danube-culture, mai 2019, droits réservés

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