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Avec son nom d’origine slave qui signifie « eaux noires » et donne comme un avant-goût de la mer Noire à laquelle Cernavodǎ est tout d’abord reliée par une ancienne route (aujourd’hui par l’autoroute Bucarest-Constanţa), puis par une voie ferrée construite par les Anglais dès la deuxième moitié du XIXe siècle (1860) et plus tard par un canal aux dimensions impressionnantes et à l’histoire douloureuse qui se sépare un peu plus loin, à la hauteur de Poarta Albǎ, en deux bras distincts.
« Tchernavoda qui tire son nom de la vallée et du petit village qui y était construit, est la station d’embarquement pour ceux qui veulent prendre la voie du Danube. Le service des bateaux est actif et assez régulier. Sur les bords du fleuve d’immenses bâtiments ont été construits comme grenier et magasin à céréales, qu’une machine à vapeur nettoie et réduit en partie en farine. C’est la propriété de la même compagnie industrielle. Elle aura à trouver le moyen d’assainir ce lieu où règnent, pendant l’été surtout, des fièvres tenaces et redoutables… »
Eugène Boré (1809-1878), « Lettre à Camille Allard, 29 septembre 1863 », in Camille Allard, Entre Danube et mer Noire, Dobroudja 1855, Annexes, p. 231, Non Lieu, Paris, 2013, Texte édité et présenté par Bernard Lory, Postface d’Ivan Roussev
Cernavodă fait d’abord référence à l’une des plus brillantes cultures de l’âge du néolithique appelée « culture de Cernavoda », un exemple de ces cultures précoces qui se développèrent le long de certains fleuves entre 4000 et 3200 avant J.-C. dans les régions de l’Ukraine occidentale, du Boudjak (Bessarabie du sud), de la Dobroudja et de la Bulgarie, principalement dans les basses vallées fluviales du Dniestr, du Boug méridional, du Dniepr, du Danube et de son delta.
Cette petite ville, rattachée historiquement à la région de Dobroudja (Dobrogée)1 qui est conquise en 1389 par Mircea cel Brǎtrǎn ou en français Mircea l’Ancien (vers 1355-1418), entreprenant voîvode (prince) de Valachie puis annexée par l’Empire ottoman en 1420 (Cernavodǎ n’est alors qu’un village du nom de Boğazköy) et qui le restera pendant plus de quatre siècles, appartient aujourd’hui administrativement au Judeţ de Constanţa. La ville est occupée (libérée du joug de la Grande Porte) par les armées du Tsar Alexandre II (1818-1881) en 1877 lors de la guerre qui oppose l’Empire ottoman à celui de Russie. Ville portuaire stratégique dès la naissance de la Roumanie en 1878, elle fait office de port à la fois de la rive droite du Bas-Danube et d’entrée du canal Danube-mer Noire,
La vallée de Carasu (Karasu signifie eau noire en langue turc, aujourd’hui Megidia) vallée des environs de Cernavodǎ orientée est-ouest qui délimite les plaines septentrionales et méridionales du Judets de Constanţa et le long de laquelle a été creusé le canal Danube-mer Noire, est une dépression synclinale des ères glaciaires aux versants raides et élevés recouverts de loess et qui pourrait avoir été une ancienne vallée du Danube primitif. Plusieurs sites archéologiques dobrogéens importants de l’Antiquité se trouve à proximité de la ville comme Axiopolis, forteresse romaine, puis byzantine, située sur la rive droite du Danube à 3 km au sud du pont de Cernavodǎ et dont l’emplacement correspond au point le plus proche entre le Danube et la mer Noire2, Flaviana, Capidava (PK 279, 5), magnifique site géto-dace, romain et byzantin dont le nom n’a pas changé au cours des siècles et signifie « citadelle sur un méandre du fleuve » en langue géto-dace, un site construit sur un affleurement rocheux de la rive droite dominant le Danube, et qui comme par miracle, renaît, reprend vie, est inlassablement reconstruit après chaque invasion et destruction jusqu’au XIe siècle quand des tributs petchénègues à l’origine nomades l’incendient et obligent la population à abandonner définitivement l’emplacement, Castrum Carcium (Harşova, PK 253) ou encore plus en aval sur le bras de Măcin, Troesmis, édifié par les Romains pour protéger la frontière fluviale et le limes des invasions barbares et investi ultérieurement par les Ottomans.
C’est à Cernavodǎ que se terminait autrefois le voyage fluvial des passagers des vapeurs et « steamer » de la D.D.S.G. qui souhaitaient se rendre à Constantinople et au-delà via Constanţa et la mer Noire avec les navires de compagnies maritimes desservant les lignes mer Noire-mer Méditerranée à l’image de la Lloyd autrichienne.
Le bâtiment du port de passagers, reconstruit à l’époque communiste dont le goût pour l’architecture n’exprimait guère la joie de vivre et désormais tristement abandonné, n’est plus investi que par les choucas.
Il reste les activités du port industriel et de son bassin mais la tranquillité des grues inactives semble indiquer une pérenne somnolence.
Les trois ponts de Cernavodă
Le Bas-Danube n’était jusque dans les dernières années du XIXe siècle, franchissable officiellement que par le bac qui circulait entre Vadul oii (Le gué des moutons, PK 239) où autrefois les bergers des Carpates méridionales faisaient traverser leurs troupeaux pour rejoindre les pâturages de la Dobrodgée, et Giurgeni (PK 237, 8). Un pont de chemin de fer sur la ligne Bucarest-Constanţa, première ligne reliant la mer Noire au réseau ferroviaire européen via Bucarest, est construit par l’entreprise française « De Fives-Lille » au-dessus du Danube (PK 300) et inauguré en 1895.
Son architecture métallique très audacieuse pour l’époque, est l’oeuvre de l’ingénieur roumain Anghel Saligny (1854-1925). Cet ouvrage ferroviaire monumental qui traverse le Danube à deux reprises, tout d’abord à la hauteur de la commune de Fetesti le bras septentrional de Borcea, l’île Balta ou Balta Ialomiţei2 ou encore Balta Borcea, grande île d’une longueur de 94 kilomètres, d’une largeur comprise entre 4 et 12, 5 km, et d’une superficie d’environ 831 km2, ancienne zone de marais et de « grinds » aménagée pour l’agriculture dans les années soixante et le bras méridional du Danube à la hauteur de Cernavodă.
L’ouvrage, d’une longueur de 15 km, est inspiré du pont écossais de Forth Bridge inauguré en 1890 et classé désormais au patrimoine mondial de l’Unesco. La nature du sol alluvionnaire instable posa de nombreux problèmes de stabilité pour les fondations des piliers, problèmes qu’on résolue en creusant jusque’à une profondeur de 31 mètres sous le niveau d’eau moyen du fleuve. La plus longues des 68 arches mesure 190 mètres. La hauteur de ce pont permettait à des voiliers d’un tirant d’air jusqu’à 38-40 m de passer sous celui-ci sans difficulté. Ce pont historique, doublé à proximité d’un pont rail-route métallique en 1987, est actuellement en rénovation.
Notes :
1« Peut-être pourrait-on y trouver l’étymologie du nom de la Dobroudja dans le mot slave dobro, « bon ». La Dobroudja est pour les Turcs, le bon pays, celui où la terre, n’appartenant à personne, peut être occupée et exploité par le premier venu. C’est une immense et fertile prairie presque entièrement déserte, habitée surtout par des Tatars pasteurs et par des Valaques sur les rives danubiennes… »
Camille Allard, « Coup d’oeil géographique » Entre Danube et mer Noire, Dobrouja 1855″, Non Lieu, Paris 2013, p. 32, Texte édité et présenté par Bernard Lory, Postface d’Ivan Roussev
2 Cette situation est probablement à l’origine de son rôle économique et stratégique important. La forteresse est mentionnée dans la Géographie de Ptolémée et sur la « Tabula Peutingeriana ».
3 Du nom de la rivière Ialomiţa (417 km) qui conflue avec le Danube sur sa rive gauche
Eric Baude pour Danube-culture © droits réservés, novembre 2023