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Tournou Sévérine (Drobeta Turnu-Severin, PK 931, Roumanie, rive gauche, préfecture du Judeţ de Mehedinţi) au début du XXe siècle par Alexandru Vlăhuţa, extrait de son livre « La Roumanie pittoresque » (« România pitorească »), « un atlas géographique commenté, traversé par un chaleureux amour du pays » et du Danube, traduit en français par l’écrivaine, journaliste, critique, enseignante et militante féministe roumaine Mărgărita Miller-Verghy (1865-1953)
Le port de Drobeta-Turnu Severin au début du XXe siècle, collection particulière
« À partir de Vertchiorova1, les berges s’abaissent et s’aplanissent. De vastes champs de maïs verdoient à l’horizon. La voie ferrée, en bordure ininterrompue, ourle tout droit la rive du fleuve, jusqu’à Tournou-Sévérine, qui apparaît, au coucher du soleil, comme en un décor de théâtre. Le Danube élargi, empiète en courbe sur le littoral roumain, et repousse la ville sur une hauteur ombragée d’arbres, dont les touffes laissent entrevoir, toujours plus haut, toujours plus grandes, de blanches maisons coiffées de tuiles rouges. D’épaisses fumées noires s’échappent à gros bouillons des cheminées d’usine. On entend de loin cogner dans les chantiers, les lourds marteaux de fer. La berge, au débarcadère, fourmille de monde, comme une foire. Ils abondent, ces lieux, en souvenirs antiques. C’est par ici que s’écoula, il y a dix-huit siècles, le flot des légions romaines destinées à planter, dans les plaines désertes de la Dacie, un peuple nouveau.
C’est ici que plus tard, l’empereur Septime Sévère2, établit ses postes de sentinelles, à l’orient de son empire : «les camps Sévériens» dont on voit les restes encore aujourd’hui (La Tour de Sévère) dans le jardin public de la ville, situé au dessus du port, sur une terrasse élevée, d’où l’on découvre une des plus belles perspectives sur le Danube. C’est ici que se trouvait autrefois la capitale de l’Olténie, la résidence des illustres Bans de Sévérin3 dont l’origine se perd dans la nuit des temps, par-delà l’époque de la première colonisation. Les fouilles opérées dans les environs exhument d’antiques ruines, des figures de pierre, des bijoux et des monnaies romaines, lointains souvenirs de ce peuple d’incomparables héros, qui a transplanté et instauré dans les plaines danubiennes, la lumière, le parler et l’imposante puissance de l’empire le plus grand et le plus glorieux que le soleil ait vu.
Quelles empreintes de géant ont laissées, partout où ils passèrent, ces légionnaires de Trajan4 ! Leurs traces se montrent encore parmi les crevasses des montagnes. Toute chose leur fut soumise. Les rochers s’écartèrent pour leur faire place : les fleuves se soumirent, épouvantés par l’ombre et le fracas des premiers ponts qui les eussent enjambés. Même le Danube, le grandiose, l’impétueux Danube fut dompté, et dut fléchir sous le joug. On voit encore aujourd’hui se dresser hors des flots, comme deux bras gigantesques tendus vers le ciel, les extrémités du pont qui a rendu immortel le nom d’Apollodore de Damas5.
À cette même place, sur cette terre consacrée par tant de grands sacrifices et de précieux souvenirs, s’élève aujourd’hui Tournou-Sévérine, l’un des ports les plus importants de la Roumanie ; ville à l’aspect occidental, aux beaux bâtiments, aux imposantes écoles, aux rues larges et droites, autrefois citadelle entourée par un fossé profond, qu’aux moments de danger le Danube remplissait en un clin d’œil, mettant ainsi la cité sous l’égide de ses flots et la pressant sur son sein, de ses bras protecteurs, comme un enfant bien-aimé.
Et, comme s’il était écrit que cette ville, à laquelle se rattachent tant de grands événements, dût graver son nom une fois de plus dans l’histoire de notre nation, voilà que c’est encore ici, à la place même où l’empereur Trajan mit pied à terre, il y a dix-huit siècles, que fit ses premiers pas sur le sol de la Roumanie, le jeune Prince Carol Ier6 , convié à prendre entre ses mains fortunées et sagaces la destinée de ce peuple, et à ressusciter dans son âme l’antique vaillance et l’indomptable énergie, en l’éveillant aune vie nouvelle, à une nouvelle phase de gloire et de progrès… »
Alexandru Vlăhuţa, extrait de son livre « La Roumanie pittoresque », traduction française de Mărgărita Miller-Verghy, publié à Bucarest en 1903