Une petite bibliothèque danubienne en langue française

   Cette bibliographie volontairement non-exhaustive en langue française regroupe des ouvrages de différents genres (romans, nouvelles, récits de voyage, poésie…). Elle inclut aussi des livres traduits en français ainsi que quelques publications anciennes en langue latine.

ALLAERT, Lodewijk (1980)
Rivages de l’est, En kayak du Danube au Bosphore, collection SILLAGES, Éditions TRANSBORÉAL, Paris, 2012
Depuis Budapest, un voyage en kayak à deux sur le Danube et la mer Noire raconté dans un style très vivant.
« Suivre le cours du Danube devenait une évidence, une injonction. Pour repartir, il me fallait emprunter cette veine battante qui fend la paresse du sol et coule vers l’Orient. »

ALLART, Camille (1832-1864) 
Entre mer Noire et Danube (Dobroudja, 1855), avec une introduction et des notes de Bernard Lory, postface d’Ivan Roussev, Éditions Non lieu, Paris 2013
Réimpression de l’ouvrage de Camille Allart intitulé Souvenirs d’Orient. La Bulgarie orientale, publié en 1864. L’introduction et les notes de Bernard Lory sont pertinentes
Camille Allart, jeune médecin accompagnant l’armée française en Bulgarie lors de la guerre de Crimée, livre ici une chronique détaillée de ses observations sur la Dobroudja et de son contexte historique, géographique, climatique, environnemental, économique et anthropologique.

ANDERSEN, Hans-Christian (1805-1975)

Constantin_Hansen_1836_-_HC_Andersen

Hans-Christian Andersen par Constantin Hansen (1836)

Le Bazar d’un poète (première édition parue en 1842), Éditions Joseph Corti, Paris, 2013
Où le célèbre écrivain et conteur danois raconte avec truculence ses voyages dont celui sur le Danube et dans l’Empire ottoman.

ARNOTHY, Christine (1930-2015)
J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir suivi de Il n’est pas si facile de vivre, Éditions Fayard, Paris, 1955, 1957, réédition Le Livre de Poche, 2010
Un poignant et douloureux journal de guerre (1944-1945) de l’écrivaine d’origine hongroise adolescente pendant le siège de Budapest et la fuite avec ses parents de la Hongrie vers l’Autriche occupée.

BACHMANN, Ingeborg (1926-1973)
Malina, Éditions du Seuil, Paris, 1973
Ingeborg Bachmann, écrivain, poétesse, philosophe, née comme Robert Musil à Klagenfurt en Carinthie, fût également la compagne du poète Paul Celan de 1947 à 1960. Proche des idées d’Heidegger et de Wittgenstein, amie de Thomas Bernhard, elle écrivit Malina son unique roman publié de son vivant et participa à tous les combats féministes et pacifistes de son temps.
L’œuvre d’Ingeborg Bachmann est parfois un pamphlet, souvent un chemin vers l’universel.
« Mais nous voulons parler des frontières/dussent-elles traverser chaque mot. »

BAILLET, Florence (1970)
Ödön von Horváth, collection voix allemandes, Éditions Belin, Paris 2008
« Le concept de « patrie », falsifié par les nationalistes, m’est étranger. »
Une biographie de l’écrivain de langue allemande à la nationalité hongroise et aux origines  « Mitteleuropéennes » magyares, croates, allemandes et tchèques, grand témoin du métissage culturel de l’Europe centrale. Il combattit farouchement toute sa vie toute forme de nationalisme tout en posant un regard acéré et ironique sur son temps et les évènements historiques de son époque comme la montée du nazisme qui le fit s’exiler. Un des auteurs majeurs d’Europe centrale dans les domaines du théâtre, des chroniques, des contes et des romans, auteur de scénario de films et de pièces radiophoniques. L’ironie du sort a voulu que l’écrivain meurt soudainement, âgé à peine de 37 ans à Paris, sur les Champs-Elysées, près du théâtre Marigny, la tête fracassée par la chute d’une branche d’un marronnier lors d’un orage. Horváth envisageait alors de partir aux États-Unis et d’écrire des scénarios de films pour Hollywood. Il venait de commencer à écrire un roman intitulé Adieu l’Europe.
Dans une de ses pièces les plus célèbres Légendes de la forêt viennoise (1931), Horváth pousse à l’extrême la « dramaturgie de façade ». S’il met en scène « une Vienne de carte postale, citant à l’envie le stéréotype du beau Danube bleu ou les valses de Strauss au point que cela finit par sonner faux, c’est pour en dévoiler les failles, qui se révèlent au grand jour à travers un leitmotiv de la mort sous-jacent« Et le Danube de servir de toile de fonds à cet exercice de démasquation de l’hypocrisie et de la lâcheté du monde petit-bourgeois viennois, amateur de kitsch et de nationalisme, étrange antichambre plus ou moins inconsciente de l’idéologie nazie. » Les valses de Strauss, qui symbolisent la gaité et l’insouciance, ainsi que le rayonnement de Vienne dans la deuxième moitié du XIXe siècle, relèvent désormais d’un âge d’or idéalisé en entre en collision avec les comportements triviaux des petits-bourgeois horváthiens : Le Beau Danube bleu est joué par l’orchestre du bar « Maxim » pour servir de toile de fonds au numéro de « trois filles à moitié nues, les jambes prises dans une queue de poisson » qui sont supposées figurer les « sirènes du Danube. » La valse est réduite à l’état d’ornement dans un tableau de mauvais goût : à l’esthétique se substitue le pornographique. »
« Vous m’interrogez sur mon pays d’origine [Heimat], je réponds : je suis né à Fiume, j’ai grandi à Belgrade, Budapest, Presbourg (Bratislava), Vienne et Munich et j’ai un passeport hongrois mais un « pays d’origine » ? Je ne sais pas ce que c’est. Je suis un mélange typique de l’ancienne Autriche-Hongrie : magyar, croate, allemand et tchèque, mon nom est magyar, ma langue maternelle est l’allemand. »
Le nom de Horváth signifie « Le croate » en langue hongroise.
« Le concept de « patrie », falsifié par les nationalistes, m’est étranger. »
Voir également à HORVÁTH, Ödön von dans bibliographie

BARRETO, Joana (traduit du moyen français et présenté par)
La croisade sur le Danube Jehan de Wavrin, Toulouse, Collection Famagouste, Anarchasis DL, 2019
Connu comme « la dernière croisade » le récit relate les aventures de la flotte des Bourguignons qui décidèrent, malgré la défaite à Varna (Bulgarie) en 1444 de l’armée des Croisés placés sous le commandement du jeune roi de Pologne Ladislas Jagellon, d’appareiller pour le Danube et la mer Noire. Actes de piraterie, sièges et prises de places fortes le long du fleuve et voyage du retour. Jehan de Wavrin fait partie de l’expédition et raconte les aventures peu glorieuses des Bourguignons.

BAUJARD, Jacques 
Panaït Istrati, L’amitié vagabonde, Éditions Transboréal, Paris, 2015
Un essai autobiographique inspiré qui se lit comme un roman. Mais il est vrai que la vie de l’écrivain de Brăila et chantre du Danube est en soi un roman tragique.

BEATTIE, William (1793-1876)
Le Danube illustré, Tome I, « De l’embouchure jusqu’aux Faubourgs de Vienne », vues d’après Nature dessinées par W. H. Bartlett et gravées par plusieurs artistes anglais. Édition française

Le Danube illustré, 2 tomes reliés en un seul volume, 102 pp., 64 gravures hors-texte, édition originale française revue par H. L. Sazerac, Paris, E. Mandeville, Libraire-Éditeur, 1849 (?)
Voir également biographie de W. H. Bartlett au chapitre « Peintres et graveurs du Danube. »

William Beattie, physicien et poète écossais

BERNHARD, Thomas (1931-1989)
Perturbation, Éditions Gallimard, Paris, 1989
Dans Perturbation Thomas Bernhard décrit cette maladie psychologique qui agit comme une lèpre sur l’Autriche : le passé collectif non assumé, le repliement sur son milieu et sa mesquinerie. Ce ne sont pas les Autrichiens qui on fait l’Holocauste mais les Allemands qui ont fait cela, nous nous sommes les enfants de Mozart, du Prater et des opérettes. Mais les Autrichiens sont aussi les enfants d’Hitler et d’autres, purs autrichiens. La montée du nazisme et de l’austrofascisme, jusqu’à l’Anschluss sont une des clefs de l’inconscient autrichien. Avoir eu la chance d’avoir un père ayant presque toujours vécu à Vienne permet de saisir encore aujourd’hui à la fois cette modernité dans les arts et les journaux, et cette tentation immense du fascisme. La première chose que firent les Allemands en entrant en 1938 à Vienne fut d’aller brûler entièrement la maison de Gustav Mahler, mort depuis 26 ans à l’époque. Rien de plus urgent que mettre en flammes les flammes de l’esprit !

BÉRANGER, Jean (1934)
Histoire de l’empire des Habsbourg, 1273-1918, Éditions Fayard, Paris, 1990

BIBÓ, István (1911-1979)
Misère des petits États d’Europe de l’Est, Éditions Albin Michel, 1993 (première édition chez l’Harmattan, Paris, 1986)
Un recueil d’essais essentiel pour comprendre l’histoire de l’Europe centrale et orientale.
« Parler de la mort de la nation ou de son « anéantissement » passe pour une phrase creuse aux yeux d’un Occidental, car s’il peut concevoir l’extermination, l’assujettissement ou l’assimilation lente, « l’ anéantissement » politique survenant du jour au lendemain n’est pour lui qu’une métaphore grandiloquente. Alors que pour les nations d’Europe de l’Est, c’est une réalité tangible. »

BILICI, Faruk (1948)
« Le Danube, les Ottomans et le Seyahatnâme d’Evliyâ Çelebi », Cahiers balkaniques, 41 | -1, Publications Langues 0′, Paris, 2012
Consacré comme son titre l’indique, à la longue présence ottomane sur le Bas-Danube.

BUFFE, Noël (1931)
LES MARINES DU DANUBE, 1526-1918, Préface de Jean Bérenger, Lavauzelle,Panazol, 2011
Des éléments précieux concernant l’histoire des flottes « marines » militaires romaines, ottomanes et autrichiennes sur le Danube.

BULATOVIĆ, Miodrag (1930-1991)
Arrêtes-toi Danube, nouvelles, Éditions du Seuil, Paris, 1969
Romancier, nouvelliste et dramaturge serbo – monténégrin à l’écriture rabelaisienne et au ton à la fois subversif et lyrique, comique et tragique.

BURLAUD, Pierre
Danube-Rapshodie, Images, mythes et représentations d’un fleuve européen, collection Partage du savoir, Éditions Grasset et Fasquelle/Le Monde de l’Éducation, Paris, 2001
Un livre référence passionnant sur le Danube et ses cultures littéraires, écrit par un germaniste averti et sensible aux mosaïques danubiennes. Peut-être le meilleur ouvrage en français avec celui de Claudio Magris. « L’exploration » se fait, comme dans Danube de Claudio Magris, au fil de la descente du fleuve.

BURNEY, Charles (1726-1814)
Voyage musical dans l’Europe des Lumières, Harmoniques, Éditions Flammarion, Paris, 1992
Pour la description de son voyage sur le Danube en allant à Vienne.

CAROZZA, Laurent, BEM, Cǎtǎlin, MICU, Christian
Société et environnement dans la zone du Bas Danube durant le cinquième millénaire avant notre ère, Éditions universitaires « Alexandru Ioan Cuza », Iaşi, 2011.
Ce volume, élaboré dans le cadre des projets Chronos et Mission archéologique du Delta du Danube este résultat d’une collaboration scientifique et interdisciplinaire franco-roumaine.

CANETTI, Elias (1905-1994)
Histoire d’une vie, Le flambeau dans l’oreille, Albin Michel, Paris, 1980
Masse et Puissance
, Éditions Gallimard, Paris, 1966
La langue sauvée – Histoire d’une jeunesse 1905-1921, Éditions Albin Michel, Paris, 2005
Prix Nobel de littérature en 1981, Elias Canetti né dans la cité cosmopolite danubienne de Routschouk (Ruse, Bulgarie) alors encore dans l’empire Ottoman. Au début de ce livre l’écrivain raconte son enfance dans sa ville natale et son contexte familial.

Elias Canetti

CARTARESCU, Mircea (1956)
Orbitor, Éditions Denoël, Paris 1989
Romancier, essayiste, poète, Mircea Cărtărescu est né en Roumanie en 1956. Il partage sa vie entre Bucarest et Berlin où il enseigne la littérature à l’université. Depuis ses débuts littéraires en 1980 avec Faruri, vitrine, fotografii (Cartea Românească)/Phares, vitrines, photographies, l’oeuvre de Mircea Cărtărescu compte une quinzaine de titres – poèmes, récits, romans, essais qui l’imposent comme une des voix majeures de la littérature roumaine contemporaine. Traduit en de nombreuses langues (allemand, anglais, bulgare, espagnol, français, hollandais, hongrois, hébreu, norvégien, polonais, portugais, suédois…), il est devenu l’une des figures incontournables de la littérature mondiale d’aujourd’hui.

ÇELEBI, Evliyâ, ÇELEBI (1611-1682)
Seyahatnâme, Kâtib (1609-1657), récits de voyage
Voir bibliographie en langue française à BILICI, Faruk

CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)
D’un château l’autre, Paris, 1957
L’écrivain sulfureux et collaborateur s’enfuie après la guerre en Allemagne pour échapper à l’épuration et séjourne sur les bords du Danube à Sigmaringen.
Cette fuite de Céline et de quelques-uns de ses proches est décrite en détails dans ses livres D’un château l’autre et Nord et Rigodon.
« Nous là dans les mansardes, caves, les sous d’escaliers, bien crevant la faim, je vous assure pas d’Opérette !… un plateau de condamnés à mort !… 1142 !… je savais exactement le nombre… »
« Je vous reparlerai de ce pittoresque séjour ! pas seulement ville d’eau et tourisme… formidablement historique !… Haut-Lieu !… mordez Château !… stuc, bricolage, déginganderie tous les styles, tourelles, cheminées, gargouilles… pas à croire !… super-Hollywood !… toutes les époques, depuis la fonte des neiges, l’étranglement du Danube, la mort du dragon, la vidoire de Saint Fidelis, jusqu’à Guillaume Il et Goering. »
« nous autres, tous là, Bichelonne avait la plus grosse tête, pas seulement qu’il était champion de Polytechnique et des Mines… Histoire ! Géotechnie !… pardon !… un vrai cybernétique tout seul ! s’il a fallu qu’il nous explique le quoi du pour ! les biscornuteries du Château! toutes ! qu’il penchait plutôt sud que nord?… si il savait ? pourquoi les cheminées, créneaux, pont-levis, vermoulus, inclinaient eux plutôt ouest?… foutu berceau Hohenzollern ! pardi ! juché qu’il était sur son roc ! … traviole ! biscornu de partout !… dehors !… dedans ! … toutes ses chambres, dédales, labyrinthes, tout! tout prêt à basculer à l’eau depuis quatorze siècles !… quand vous irez vous saurez !… repaire berceau du plus fort élevage de fieffés rapaces loups d’Europe ! la rigolade de ce Haut-Lieu ! et qu’il vacillait je vous le dis sous les escadres qu’arrêtaient pas, des mille et mille « forteresses », pour Dresde, Munich, Augsburg… de jour, de nuit… que tous les petits vitraux pétaient, sautaient au fleuve !… vous verrez !… »

CHAPPÉ, Jean-Marie Chappé
L’encyclopédie du Banat, voir chapitre « PEUPLES DU DANUBE » sur ce cite.
Jean-Marie Chappé est le spécialiste de l’histoire des Lorrains qui s’installèrent sur le Danube au XVIIIsiècle.
Sources : www.banaterra.eu

CHOMETTE, Guy-Pierre, Sautereau Frédéric
Lisières d’Europe, De la mer Égée à la mer de Barents, voyage en frontières orientales, Éditions AutrementFrontières, Paris, 2004

CIORAN, Emil (1911-1995)  
« Cioran célèbre le bassin du Danube en ce qu’il amalgame des peuples bien vivants mais obscurs, ignorant de l’Histoire, c’est-à-dire de cette division en périodes définies en fonction d’une idéologie qui est une invention de l’historiographie occidentale, giron et sève de civilisation non encore dévitalisée, à ses yeux par le rationalisme ou le progrès. »
In Claudio Magris, Danube

COLLECTIF
Belgrade, guide touristique, Petit Futé, 10ème édition, Nouvelles Éditions de l’Université, Paris, 2013

COLLECTIF
La Commission du Danube et la navigation danubienne, ouvrage publié à l’occasion du 150ème anniversaire de la Commission Européenne du Danube et du 50ème anniversaire du siège de la Commission du Danube à Budapest, Commission du Danube, Budapest, 2004

COLLECTIF
Le DANUBE, Sa mission économique et civilisatrice dans l’Europe centrale et orientale, édité avec le concours officiel de la Commission Internationale du Danube et des gouvernements de tous les États riverains, Wirtschaftszeitungs-Verlagsgesellschaft M.B.H., Vienne, 1933

COUSTEAU, Jacques -Yves (1911-1997)  et collectif  (Causse, Christine, Koulbanis, Grégoire, Piantanida, Thierry, Platt, Véronique)
Les secrets du Danube, Enquête sur le dernier grand fleuve sauvage d’Europe, Éditions Hachette Jeunesse et The Cousteau Society, Paris, 1993
Le célèbre commandant Cousteau et son équipe observent, enquêtent et filment le Danube pendant deux années. Une analyse sans concession des interventions de l’homme pour canaliser le fleuve et construire des barrages. Prémonitoire !

« à croire que l’homme ne peut supporter le fleuve tel qu’il est, avec ses excès, ses frasques, sa fantaisie. Il n’a de cesse de l’endiguer pour modérer les effets des crues; de le canaliser pour le rendre navigable ; de le barrer pour produire de l’électricité. Les animaux […] sont incapables de s’adapter à un tel bouleversement. Pour l’homme aussi c’est souvent un désastre… »

Cousteau rappelle également brièvement le triste épisode du barrage slovaque de Gabčikovo, de l’esturgeon dont la route a été barrée par le gigantesque barrage roumano-serbe de Djerdap dans les Portes-de-Fer, barrage qui empêche ce poisson de remonter en Hongrie pour se reproduire. Que dire des nombreuses usines qui continuent à déverser leurs déchets toxiques directement dans le fleuve, de l’agriculture intensive gourmande en intrants, des centrales nucléaires hongroises, bulgares et roumaines sur les rives du grand fleuve dont on peut s’interroger et s’inquiéter de la fiabilité et la sécurité, sur les rejets radioactifs et de toutes sorte dans le Danube, comme une ultime blessure de l’homme et de ses inventions démoniaques à la nature sauvage du fleuve et à la nature tout court, un homme malheureusement toujours enclin à laisser sa lourde empreinte partout où il se trouve, du grand canal inutile entre le Rhin et le Danube, du gaspillage d’énergie, de la pollution au cyanure déjà (presque) oubliée de la mine aurifère de Baia Mare (Roumanie) en 2000 et d’autres plus récentes, du paysage parfois (souvent) défiguré par des constructions privées récentes et autres villas de nouveaux riches arrogants et amnésiques, de marinas artificielles grotesques et incongrues, du biotope allègrement massacré sur la rive roumaine dans la plus totale impunité voire avec la complicité des autorités corrompues en amont et en aval des Portes-de-Fer.

CYRILLE, alias Louis Marie Adolphe d’Avril (1822-1904)
De Paris à l’île des Serpents, à travers la Roumanie, la Hongrie et les bouches du Danube, Paris, E. Leroux, 1876.
Un livre savoureux !

DEKOBRA, Maurice (1885-1973)
Un soir sur le Danube, le roman d’un traître, Éditions Taillandier, Paris, 1957

DÉRY, Tibor (1894-1977)
Niki, L’histoire d’un chien, traduit du hongrois par Ladislas Gara [Imre Lazslo], Les éditions Circé, Belval, 2011
Tibor Déry, romancier hongrois, né et mort à Budapest, est « le grand peintre de la condition humaine de notre temps. » (György Lukács). L’histoire de la petite chienne fox-terrier Niki et du couple qui sont ses maîtres adoptifs, commence au printemps 1948, année qui scella le sort de la Hongrie pour une longue et sombre période.

« C’était un bel octobre ensoleillé ; les effluves d’automne qui montaient de l’eau attiédie purifiaient l’air enfumé de la ville et, parfois, les rousses collines de la rive de Buda saluaient la rive de Pest de leur odeur de feuilles mortes. Lorsque s’allumaient les réverbères, les eaux du Danube se mettaient à bercer leurs reflets couleur de lune, et le souffle de la brise les effilochait en minces lueurs dorées qui, chevauchant des vagues à peine perceptibles, allaient se perdre entre les deux rives… »

« Il faisait chaud. Une petite brise se levait de temps à autre, entrainant l’odeur de l’eau jusque dans le logis, depuis le Danube qui scintillait sous la fenêtre. Entrait encore la chaude odeur de poix des trottoirs fondant au soleil et les vapeurs d’essence des voitures roulant au dehors. Du linge frais lavé séchait sur une corde tendue dans la pièce donnant gaiement la réplique à l’odeur de l’eau et du soleil envoyé par le fleuve… »

DIMITRIU, Petru (1924-2002)
Écrivain, romancier prolifique, académicien roumain né sur les bords du Danube dans le village de pécheurs de Baziaş, au Sud-Ouest de la Roumanie (Banat) où son père y avait un moulin.
P. Dimitriu occupera des fonctions officielles pendant le régime communiste mais quittera son pays clandestinement en 1960.
Le film de Lucian Pintilie Un été inoubliable dont l’histoire se passe au bord du Danube, est inspiré de sa nouvelle « La salade ».

DODERER, von, Heimito, (1896-1966)
Les Démons, D’après la chronique du chef de division Geyrenhoff, tome III, traduit de l’allemand par Robert Rovini, Collection l’Étrangère, Gallimard, Paris, 1992
 Romancier autrichien, ayant commencé des études de droits. Il fût prisonnier pendant la première guerre mondiale en Russie, de 1916 à 1920 puis officier lors de la seconde guerre mondiale.

Heimito von Doderer

DOMINIQUE, Pierre
Les Danubiennes, édité avec des dessins coloriés d’Eddy Legrand, Éditions Bernard Grasset, Paris, 1926

DURAND, Hyppolyte (1833-1917) 
Le Danube allemand et l’Allemagne du Sud, Tours, Ad. Mame et Cie, Imprimeurs-Libraires, 1863
Un voyage du Rhin au Danube au XIXe siècle par un professeur au lycée de Versailles.

ELUÈRE, Christiane (1946)
L’Europe des Celtes, Collection « Découvertes Gallimard », Réunion des musées nationaux, Paris, 1999

ENGELHARDT, Édouard (Philippe, 1828-1916) 
Histoire Du Droit Fluvial Conventionnel : Précédée D’Une Étude Sur Le Regime de La Navigation Intérieure Aux Temps de Rome Et Au Moyen Age, Paris1889

ESTERHÁZY, Péter (1950)
L’oeillade de la contesse Hahn-Hahn – en descendant le Danube –, collection Arcades, Éditions Gallimard, Paris, 1991
« En reprenant un voyage interrompu trente ans plus tôt, le narrateur accomplit la descente du Danube dans l’intention d’y consacrer un livre. »
Une exploration de l’espace et du temps à la fois drôle et grave. Une écriture inimitable. Un grand roman danubien !

Peter Esterházy

FEBVRE, Lucien (1878-1956)
Pour une histoire à part entière, Paris, Éditions SEVPEN, 1962

FLEISSER, Marie-Louise (1901-1974)
Le plus beau fleuron du club – où il est question de tabac, de sport, d’amour et de commerce, Éditions Acte Sud, Arles, 1994

FREUD, Sigmund (1856-1939) et FREUD, Anna (1895-1938)
De Paris à Constantinople par Le Danube : Esquisses Et Souvenirs de Voyage … , Primary Source Édition, ?

GEFFCKEN, Friedrich Heinrich (1830-1896)
La question du Danube, H. W. Müller, Libraire-Éditeur, Berlin, 1883

GEORGE, Pierre (1909-2006)
Géographie de l’Europe centrale, slave et danubienne, P.U.F., Paris, 1968
Un livre synthétique un peu désuet avec des éléments intéressants

GESLIN, Laurent, DERENS, Jean-Arnaud
Là où se mêlent les eaux, Des Balkans au Caucase dans l’Europe des confins, récits de voyage, La Découverte, Paris, 2018

GHEORGHIU, Virgil (1916-1922)
Les Amazones du Danube, Librarie Plon, Paris, 1978
Écrivain et prêtre orthodoxe roumain, V. Gheorghiu est aussi l’auteur de La vingt-cinquième heure.

Les sacrifiés du Danube, Librairie Plon, Paris, 1957
« Seuls les diplomates croient qu’il faut d’abord sauver l’univers pour pouvoir ensuite sauver un homme. »

GLAD Damien
Le Danube à l’époque romaine tardive et protobyzantine (284-614/5). Limes ou espace d’échanges ? Presse Universitaire du Septentrion, 2017

GOETHE, Wolfgang (1749-1832)
Conversations
Dans ses conversations, l’écrivain allemand intéressé, parmi de nombreux sujets, par le projet de liaison Rhin-Danube, confie qu’il place celui-ci au même rang que ceux de Suez et Panama.

GOSTELOW, Martin et FREY, Elke
Le Danube, collection Cap sur, Éditions JPM Guides, Lausanne, 2010

GRAFF, Martin (1944)
Le réveil du Danube, géopolitique vagabonde de l’Europe, Éditions La Nuée Bleue/DNA, Strasbourg, 1998
L’écrivain alsacien Martin Graff, né à Münster en 1944 est une personnalité attachante et originale dans le paysage culturel français : journaliste, théologien, réalisateur de films et  de documentaires. Bien placé pour en parler et s’interroger sur cette problématique, il s’intéresse de très près à la notion complexe et souvent fluctuante des frontières sur tout le continent européen. Adepte du vagabondage, il affectionne en particulier de parcourir les rives proches et un peu plus éloignées du Danube qu’il remonte et descend régulièrement pour son bonheur et celui des lecteurs avec un enthousiasme curieux et chaleureux depuis de longues années. Il promène sur le grand fleuve européen et sur ses paysages un regard avisé, conjugué avec un humour affectueux et poétique. Les rencontres et les observations des diverses réalités quotidiennes de terrain qu’il accumule, privilégiant comme il l’écrit lui-même « l’homme et la femme du fleuve » ont font un des meilleurs connaisseurs du contexte multiculturel danubien.
Dans son livre Le réveil du Danube, géopolitique vagabonde de l’Europe, paru en 1998, il prend judicieusement avec sa petite équipe le fleuve à « rebrousse-poil », le remontant depuis le delta et Wilkovo l’ukrainienne, surnommée « La Venise du delta », à douze kilomètres de la mer Noire, jusqu’à ses sources en Forêt-Noire, celles-ci à moins de quarante kilomètres de la frontière franco-allemande.
Martin Graff aime et connaît son Danube « comme sa poche » et nous fait partager sa fascination et son attachement pour ses populations riveraines et leurs singularités.
« C’est ainsi, personne (en France) ne connaît le Danube. Pourtant, voilà le fleuve européen par excellence. Quel autre cours d’eau peut se prévaloir d’une chevauchée fantastique qui mène le voyageur de la Forêt-Noire à la mer Noire, de l’Occident à l’Orient, trois mille kilomètres d’errances entre les peuples qui composent l’Europe ? »

« Les historiens ont parfois la faiblesse d’écrire que le Danube relie les peuples entre eux. En réalité, un fleuve est avant tout une frontière… Depuis la chute des murs, les riverains du Danube ont multiplié les frontières à l’est de l’Europe… Les politiciens du Danube, souvent sans demander l’avis de leurs concitoyens, infusent jour et nuit le poison du nationalisme dans le coeur des hommes et des femmes qui n’en demandent pas tant. Le mythe des origines a déjà fait de mortels ravages. Chaque famille danubiennes « invente » un âge d’or qui n’a jamais existé. Les nouveaux pays comme la Moldavie, l’Ukraine et la Croatie, purifient leur langue, prémisse d’une autre purification… »

« Les rives du Danube sont le laboratoire vivant de l’Europe de demain… »
« Le Danube nous invite à succomber au vertige d’une identité ouverte à d’autres cultures. Ses riverains y arriveront-ils ? »
Voir également filmographie danubienne à GRAFF, Martin

GRIFFE, Maurice (1921-2013)
Histoire du Danube et du Rhin, collection Essentiel, Éditions Tableaux synoptiques de l’histoire, Paris (?), 2012

HANDKE, Peter (1942)
Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina, Éditions Gallimard, Paris, 1996
Un témoignage sur le conflits des Balkans de l’écrivain contreversé d’origine autrichienne qui fut tout d’abord publié dans le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung les 5, 6, 13 et 14 juin 1996.

HAUSSONVILLE, d’, comte
« De Salonique à Belgrade », in La revue des Deux mondes, livraison du 15 janvier 1888

« Belgrade et le Danube »
« Le coin que je préfère, c’est un petit kiosque à l’extrémité du bastion, juste au dessus de la Save et du Danube. De là on voit les deux fleuves s’acheminer majestueusement à travers les plaines croates et hongroises, et se donner la main au pied de la forteresse. Ils forment des tâches lumineuses dans les lointains bleuâtres. Ils enlacent tantôt des îles de verdure, tantôt de grandes prairies rousses et marécageuses.Le Danube vient droit sur vous ; après avoir promené son ruban de lumières autour de Semlin, il décrit dans la plaine une courbe parfaite et cueille au passage les eaux les plus vertes de la Save ; puis, grossi de son tributaire, emportant avec lui la fortune de vingt peuples riverains, il reprend sa course vers l’Orient. La citadelle s’avance entre les deux fleuves, semblable à la proue d’un énorme navire. De mon observatoire, je domine un enchevêtrement d’escarpes, de contrescarpes, de demi-lunes et de chemins couverts, entremêlés d’herbes folles et de jardins potagers. Les profils sévères des murailles ont été adoucis par le temps. La brique a changé son rouge brutal contre une belle nuance dorée, marbrée de lichens. A tous les angles, il y a des poivrières qui conservent la charmante crâneries des vieilles armes hors d’usage. Légères, suspendues au dessus de l’abîme, toute noires sur l’argent du fleuve, elles évoquent ces temps déjà fabuleux où la force militaire n’allait pas sans élégance.
Plus loin, on aperçoit le clocher tout bosselé d’or de l’église orthodoxe. Au dessous, un entassement de maisons sur une pente abrupte, les magasins du port rangés en demi-cercle, les bateaux qui déchargent, les quais trop étroits encombrés de tonneaux et de voitures. La rumeur confuse du port monte jusqu’ici. Mais on y fait, ce semble, plus de bruit que de besogne. C’est d’hier que la ville est émancipée de sa forteresse, et qu’elle peut considérer sans crainte ces embrasures au regard louche, tournées contre elle aussi souvent que contre l’ennemi. Naguère, elle se faisait toute petite derrière cet inquiétant protecteur ; aujourd’hui, elle se risque d’un pas encore incertain, et s’éparpille sur toutes les pentes. Tout en bas, les aubes d’un bâtiment autrichien, blanc et rose sous le soleil couchant, tracent un double sillon sur la moire nacrée du fleuve.Les derniers coudes de la Save, encadrés de brume violette, s’illuminent de pourpre, et le vieux rempart présentes ses blessures à la caresse d’un dernier rayon. »

HÉSIODE (VIIIe siècle av. J.-C.)
La Théogonie, Les Travaux et les jours, traduction de Philippe Brunet, commentaires de Marie-Christine Leclerc, Le livre de poche Classiques, Librairie générale française, Paris, 1999

Le poète grec Hésiode a vécu, s’il on en croit le témoignage d’Hérodote et des éléments autobiographiques, vers la fin du VIIe siècle avant Jésus-Christ. On a longtemps considéré Hésiode comme un « poète paysan » et c’est assez récemment que sa dimension de penseur a été reconnue. La Théogonie se présente sous la forme d’un long catalogue des divinités énumérées dans l’ordre chronologique depuis les puissances primordiales jusqu’aux enfants des dieux actuellement en place, les Olympiens, à la tête desquels trône Zeus. Au-delà de l’énumération des divinités apparaît une double organisation assez élaborée, à la fois généalogique (le rapport généalogique s’effectuant par analogie ou par contraste) et par l’évocation d’épisodes importants concernant en particulier ceux qui mettent en scène les péripéties de la souveraineté divine.
Hésiode cite « l’Istre au cours magnifique » au début de sa Théogonie : « L’Océan et Téthys engendrèrent les Fleuves à l’onde tourbillonnante : Le Nil, l’Alphée, l’Eridan qui bouillonne, le Strymon, le Méandre, l’Istre au cours magnifique, l’Achéloos argenté, le Rhésos, le Phase splendide, le Nessos, le Rhodios, l’Haliacmon, l’Heptatore, le Granique, le Simoïs, l’Esèpe paisible, l’Herme, le Pénée, le Caïque à l’onde abondante, le Parthénios, le Ladon, le Sangarios grandiose, l’Evénos, l’Ardescos, et ce fleuve divin, le Scamandre.
Ils engendrèrent des filles, race sacrée qui sous terre, donnent croissance aux garçons… »

HÖLDERLIN, Friedrich (1770-1843)

Holderlin1842

Friedrich Hölderlin en 1842

Hymnes et autres poèmes (1796-1804), traduit et présenté par Bernard Pautrat, Rivage poche Petite Bibliothèque, Éditions Payot & Rivages, Paris, 2004
Pour le grand poète allemand, le Danube est par essence le « fleuve de la mélodie ».

À la source du Danube (Am Quell der Donau)

« Car, de même que, ‑ lorsque, tombant du splendidement accordé, de l’orgue
Dans la salle sainte,
Sourdant pur des inépuisables tuyaux,
Commence du matin le prélude éveilleur
Et que, loin alentour, de halle en halle
A présent, le rafraîchissant, le flot mélodieux, s’écoule, ‑
Jusqu’en ses ombres froides la maison
En est toute emplie d’enthousiasmes,
Mais à présent voici qu’est éveillé, à présent, que, montant à lui,
Soleil de la fête répond
Le choeur de la communauté : de même vint
La parole de l’est chez nous,
Et sur les rochers du Parnasse et sur le Cithéron j’entends,
O Asie, l’écho de toi venu, il se brise
Sur le Capitole et soudain du haut des Alpes

Vient une étrangère, elle,
Chez nous, l’éveilleuse,
La voix façonneuse d’hommes.
Là fut saisie d’une stupeur l’âme
Ceux qu’elle frappa, tous, et nuit
Ce fut souvent sur les yeux des meilleurs.
Car il est de beaucoup capable,
Et le flot et le roc ainsi que la force du feu
Il les dompte, l’homme, avec art,
Et se soucier, l’orgueilleux, du glaive,
Il ne le fait, mais il se voit
Par du divin, le fort, jeté à terre,

Et il ressemble presque à la bête sauvage ; laquelle,
Sous la poussée de la douce jeunesse,
Court sans répit les monts
Et sent sa propre force
Dans la chaleur de midi. Oui mais lorsque,
Entraînée en bas, dans les airs joueurs,
La lumière du soir, et avec le rayon attiédi
L’esprit de joie, vient vers
La terre heureuse, alors elle succombe, inaccoutumée
Au plus beau, et somnole un somme éveillé
Avant même qu’astre n’approche. De même aussi de nous.
De beaucoup en effet s’éteignit
La lumière des yeux avant même les dons envoyés par les dieux,

Dons amicaux qui d’Ionie à nous,
Aussi d’Arabie, vinrent, et contente
De l’enseignement de haut prix comme aussi des chants gracieux,
Jamais ne le fut l’âme de ces endormis,
Cependant quelques-uns veillaient. Et ils voyageaient souvent
Paisiblement parmi vous autres, ô citoyens de belles villes,
Aux Jeux, où, d’ordinaire, le héros
Etait secrètement assis près des poètes, contemplaient les lutteurs et, souriant,
Louait, lui le loué, les enfants au sérieux loisir.
Un amour incessant c’était et cela reste.
Et partis pour de bon, mais c’est pour ça que nous pensons
Les uns aux autres malgré tout, nous à vous, les joyeux, près de l’isthme
Et du Céphyse et du Taygète,
Que nous pensons aussi à vous, les vallées du Caucase,
Si vieilles soyez-vous, paradis de là-bas,
Et à tes patriarches et tes prophètes,

Ô Asie, à tes forts, ô mère !
Qui , sans peur face aux signes du monde,
Avec le ciel sur les épaules et aussi le destin entier,
Au long du jour enraciné sur des montagnes,
Comprirent les premiers ça :
A parler seuls
A Dieu. A présent ils reposent. Mais alors que vous,
Et c’est cela qui est à dire,
Vous tous, anciens, vous ne disiez pas d’où ?
Nous te nommons, saintement forcés, te
Nommons, nous, Nature !, et neuf, comme du bain surgit
De toi tout ce qui est ne naissance divine.

Vrai, il en va de nous comme à peu près des orphelins ;
C’est bien comme jadis, mais finie cette douce tutelle ;
Tout est comme autrefois, mais cette affection, plus jamais ;
Jeunes gens, pourtant eux non plus, de l’enfance ayant souvenir,

Dans la maison ne sont des étrangers.
Ils vivent triplement, comme exactement comme aussi
Les premiers fils du ciel.
Et ce n’est pas pour rien que nous fut
En l’âme donnée la fidélité.
Ce n’est pas nous, c’est aussi ce qui est à vous qu’elle garde,
Et près des choses saintes, près des armes de la parole,
Qu’en partant vous, à plus maladroits, nous,
Vous les fils du destin, avez laissées derrière vous,

O esprits bons, là aussi vous êtes,
Souvent, quand la sainte nuée alors plane à l’entour de l’un,
Là nous nous étonnons et ne savons pas qu’en penser.
Mais vous nous relevez l’haleine de nectar
Et alors nous poussons des cris d’allégresse, souvent, ou encore nous saisit
Une rêverie, mais lorsque, de vous, l’un se voit trop aimé,
Il n’a de cesse d’être devenu l’un des vôtres.
C’est pourquoi, ô vous bienveillants ! Enlacez-moi légèrement,
Que je puisse rester, car beaucoup est encore à chanter,
Seulement ici prend fin, en pleurant de joie,
Comme une légende d’amour,
En moi le chant, et c’est ainsi également qu’il est
Qu’il est, avec rougeur, pâleur,
Dès le début venu. Mais il en va ainsi de Tout. »

À la source du Danube, in Hölderlin, Hymnes et autres poèmes, Rivages poche/Petite Bibliothèque, Éditions Payot et Rivages, Paris, 2004

L’Ister

Arrive, feu !

Avides sommes-nous,
De contempler le jour,
Et, une fois l’épreuve
Passée par les genoux,
L’on peut s’apercevoir des cris de la forêt.
Mais nous chantons, ici, depuis l’Indus,
Arrivés de loin, et
Depuis l’Alphée, et nous avons longtemps
Cherché le convenable,
On ne peut pas sans ailes,
Accourir au plus près,
Tout droit
Et arriver sur l’autre bord.
Mais ici nous voulons bâtir.
Car des fleuves font labourable
Le pays. Oui, où poussent des herbes
Et où sur leurs rives viennent
Boire les bêtes en été,
Alors aussi viennent des hommes.

Mais celui-ci on le nomme l’Ister.
Belle est sa demeure. Y brûle des fûts le feuillage,
Il s’élève. Sauvages se dressent-
Ils, érigés en une mêlée ; au dessus,
Seconde mesure, fait saillie
Le dais de rochers. Aussi, surpris
Ne suis-je pas qu’il
Ait offert l’hospitalité à Hercule
En rayonnant de loin, en bas depuis l’Olympe,
Quand lui, pour se chercher de l’ombre,
Vint de l’isthme torride,
Car du courage ils étaient pleins,
Eux, là-haut, encore fallait-il, à cause des esprits,
La fraîcheur aussi. C’est pourquoi lui, il préféra venir
Par ici, près des sources des eaux, des rives jaunes
Au parfum montant haut, et, noires,
Du bois de pins où dans les profondeurs
Aime à se promener un chasseur
A midi, où l’on peut entendre pousser,
Près des résineux de l’Ister,

Mais celui-ci semble presque
Aller à reculons et
Je pense qu’il devrait venir
De l’Est.
Il y aurait beaucoup
A en dire. Et pourquoi pend-il
Tout droit des montagnes ? L’autre,
Le Rhin, s’en est de son côté
Allé. Ce n’est pas pour rien qu’ils vont
Se mettre au sec, les fleuves. Mais comment ? Un signe, il faut,
Rien d’autre, intègre et droit pour que soleil
Et lune, il les porte en son coeur, inséparables,
Et avance, de jour, aussi de nuit, et pour
Que les célestes se réchauffent l’un l’autre.
C’est pourquoi ceux-là sont aussi
La joie du Très-Haut. Car comment viendrait-il, sinon,
Ici-bas ? Et verts comme Herta
Sont les enfants du ciel. Mais par trop patient
Lui me semble, pas
Plus libre, et presque à se moquer. Oui, quand

Doit débuter le jour
En sa jeunesse, où de croître il
Commence, un autre est là qui pousse
Déjà haut sa splendeur et qui, comme poulains,
Ecume sur le frein, et les airs au lointain
Entendent la poussée,
Lui, est satisfait ;

Mais au roc il faut des entailles,
Et à la terre des sillons,
Inhospitalier ce serait sans répit ;
Mais ce qu’il fait, lui, le fleuve,
Nul ne sait. »
L’Ister, in Hölderlin, Hymnes et autres poèmes, Rivages poche/Petite Bibliothèque, Éditions Payot et Rivages, Paris, 2004

HÖLDERLIN, Friedrich
Gedichte (Poèmes), édition bilingue, Aubier, Paris, 1943

HOREL, Catherine (1966)
Histoire de Budapest, Éditions Fayard, Paris, 1999
Cette Europe qu’on dit centrale. Des Habsbourg à l’intégration européenne 1815-2004, Paris, Beauchesne, 2009

HORVÁTH, von, Ödön (1901-1938)
Légendes de la forêt viennoise, Théâtre complet, vol. 3, Paris, Éditions L’Arche, 1999, publié sous la direction de Heinz Schwarzinger

Écrivain de langue allemande au passeport hongrois, d’origine à la fois magyare, croate, allemande et tchèque. Témoin du caractère multiculturel de la Mitteleuropa, il combattit précisément toute forme de nationalisme.
Dans Légendes de la forêt viennoise, la musique des Strauss père et fils, symbole de gaité et d’insouciance ainsi que d’un art de vivre et d’une culture viennois de la deuxième moitié du XIXème siècle, appartient désormais à une époque révolue, lointaine d’un âge d’or idéalisé. Elle se heurte avec ironie aux comportements triviaux des petits-bourgeois nationalistes : Le Beau Danube Bleu est joué par l’orchestre du bar « Maxim » servant de toile de fond au numéro de trois filles à moitié nues, les jambes prises dans une queue de poisson qui sont sont supposées être les sirènes du fleuve. La musique est réduite à un état d’ornement dans un tableau du plus pur kitsch. À l’esthétique se substitue la pornographie et la vulgarité.

« Sa pièce  Légendes de la forêt viennoise (Geschichten aus dem Wienerwald) est féroce. Le détournement des lieux mythifiés entourant le capitale touche la Wachau, la forêt viennoise, les guinguettes de Grinzing et la cathédrale Saint-Étienne. Ces coulisses traditionnelles de Volksstück (pièce populaire) vont se révéler espace de mensonge et d’hypocrisie sociale, politique, affective. Mais c’est d’abord dans les près de l’Inundationgebiet autour du Danube que se révèlent avec le plus de violence les attirances pulsionnelles des protagonistes pervertissant l’agencement prévu de la fête de famille.
Dans l’imagerie et le quotidien populaires viennois, les Donauauen, les prairies inondables laissées aux crues du fleuve continuent depuis deux siècles de constituer un «espace du bonheur» pas cher, avec baignades ; pique-niques… et le lieu de la liesse populaire. Dans Légendes, de petits bourgeois endimanchés célèbrent les fiançailles de Marianne et du charcutier Oskar. Photos de famille, kitsch au clair de lune, mais soudain derrière la normalité affable, Horváth fait surgir les monstres. Les instincts sont justifiés par les lois de nature, le bain, le déshabillage, le voyeurisme, la tromperie. Derrière le mariage petit-bourgeois, se révèle aussi la motivation sociale : l’intérêt. Au bord de notre Danube, se dévoilent attirances, pulsions et mensonges. Duos illégitimes, baisers, Marianne la victime refuse Oskar, veut un enfant d’Alfred. Sa déchéance est programmée, un ami du séducteur lui propose une place de danseuse nue dans un cabaret. L’épilogue aura lieu à Dürnstein, autre lieu danubien mythifié de la Wachau. L’air vivifiant, également perverti, détourné au sens propre, ne va-t-il pas servir à causer la mort de l’enfant gênant fruit d’un faux amour ? »
Pierre Burleaud, « Le Danube et l’Autriche : Attraction-Répulsion », in Culture et identité autrichiennes au XXe et au début du XXIe siècles, Éditions Pulim, Limoges, 2003.

Autres pièces d’Ö. von Horvath publiées en français (Éditions de l’Arche) :
Un épilogue, Dösa, Meurtre dans la rue des Maures, Le funiculaire, L’institutrice, Le belvédère (volume 1, 1994)
Le congrès, Sladek, Soldat de l’Armée noire, L’heure de l’amour, La journée d’un soldat de 1930, Nuit italienne, Elisabeth, beauté de Thuringe, Conte féérique original (volume 2, 1995)
Un homme d’affaire royal, Vers les cieux-fragments, Casimir et Caroline, Magasin du bonheur (volume 3, 1995)
Foi Amour Espérance, L’Inconnue de la Seine, Allers-retours, Vers les cieux (volume 4, 1996)
L’histoire d’un homme (N) qui grâce à son argent peut presque tout, Coup de tête, Figaro divorce, Don Juan revient de guerre, Un Don Juan de notre temps (volume 5, 1997)
Le jugement dernier, Un village sans homme, Un bal chez les esclaves, Pompéi, C’est le printemps , fragment (volume 6, 1998)
L’oeuvre en prose a été publié entre 1988 et 1994 aux Éditions Christian Bourgeois à Paris.

HUGO, Victor (1802-1885)

Les orientales

« Le Danube en colère, poème

Belgrade et Semlin sont en guerre.
Dans son lit, paisible naguère,
Le vieillard Danube leur père
S’éveille au bruit de leur canon.
Il doute s’il rêve, il tressaille,
Puis entend gronder la bataille,
Et frappe dans ses mains d’écaille,
Et les appelle par leur nom.

Allons, la turque et la chrétienne !
Semlin ! Belgrade ! qu’avez-vous ?
On ne peut, le ciel me soutienne !
Dormir un siècle, sans que vienne
Vous éveiller d’un bruit jaloux
Belgrade ou Semlin en courroux !

Hiver, été, printemps, automne,
Toujours votre canon qui tonne !
Bercé du courant monotone,
Je sommeillais dans mes roseaux ;
Et, comme des louves marines
Jettent l’onde de leurs narines,
Voilà vos longues couleuvrines
Qui soufflent du feu sur mes eaux !

Ce sont des sorcières oisives
Qui vous mirent, pour rire un jour,
Face à face sur mes deux rives,
Comme au même plat deux convives,
Comme au front de la même tour
Une aire d’aigle, un nid d’autour.

Quoi ! ne pouvez-vous vivre ensemble,
Mes filles ? Faut-il que je tremble
Du destin qui ne vous rassemble
Que pour vous haïr de plus près,
Quand vous pourriez, sœurs pacifiques,
Mirer dans mes eaux magnifiques,
Semlin, tes noirs clochers gothiques,
Belgrade, tes blancs minarets ?

Mon flot, qui dans l’océan tombe,
Vous sépare en vain, large et clair ;
Du haut du château qui surplombe
Vous vous unissez, et la bombe,
Entre vous courbant son éclair,
Vous trace un pont de feu dans l’air.

Trêve ! taisez-vous, les deux villes !
Je m’ennuie aux guerres civiles.
Nous sommes vieux, soyons tranquilles.
Dormons à l’ombre des bouleaux.
Trêve à ces débats de familles !
Hé ! sans le bruit de vos bastilles,
N’ai-je donc point assez, mes filles,
De l’assourdissement des flots ?

Une croix, un croissant fragile,
Changent en enfer ce beau lieu.
Vous échangez la bombe agile
Pour le Coran et l’évangile ?
C’est perdre le bruit et le feu :
Je le sais, moi qui fus un dieu !

Vos dieux m’ont chassé de leur sphère
Et dégradé, c’est leur affaire :
L’ombre est le bien que je préfère,
Pourvu qu’ils gardent leurs palais,
Et ne viennent pas sur mes plages
Déraciner mes verts feuillages,
Et m’écraser mes coquillages
Sous leurs bombes et leurs boulets !

De leurs abominables cultes
Ces interventions sont le fruit.
De mon temps point de ces tumultes.
Si la pierre des catapultes
Battait les cités jour et nuit,
C’était sans fumée et sans bruit.

Voyez Ulm, votre sœur jumelle :
Tenez-vous en repos comme elle.
Que le fil des rois se démêle,
Tournez vos fuseaux, et riez.
Voyez Bude, votre voisine ;
Voyez Dristra la sarrasine !
Que dirait l’Etna, si Messine
Faisait tout ce bruit à ses pieds ?

Semlin est la plus querelleuse :
Elle a toujours les premiers torts.
Croyez-vous que mon eau houleuse,
Suivant sa pente rocailleuse,
N’ait rien à faire entre ses bords
Qu’à porter à l’Euxin vos morts ?

Vos mortiers ont tant de fumée
Qu’il fait nuit dans ma grotte aimée,
D’éclats d’obus toujours semée !
Du jour j’ai perdu le tableau ;
Le soir, la vapeur de leur bouche
Me couvre d’une ombre farouche,
Quand je cherche à voir de ma couche
Les étoiles à travers l’eau.

Sœurs, à vous cribler de blessures
Espérez-vous un grand renom ?
Vos palais deviendront masures.
Ah ! qu’en vos noires embrasures
La guerre se taise, ou sinon
J’éteindrai, moi, votre canon.

Car je suis le Danube immense.
Malheur à vous, si je commence !
Je vous souffre ici par clémence,
Si je voulais, de leur prison,
Mes flots lâchés dans les campagnes,
Emportant vous et vos compagnes,
Comme une chaîne de montagnes
Se lèveraient à l’horizon ! »

Certes, on peut parler de la sorte
Quand c’est au canon qu’on répond,
Quand des rois on baigne la porte,
Lorsqu’on est Danube, et qu’on porte,
Comme l’Euxin et l’Hellespont,
De grands vaisseaux au triple pont ;

Lorsqu’on ronge cent ponts de pierre,
Qu’on traverse les huit Bavières,
Qu’on reçoit soixante rivières
Et qu’on les dévore en fuyant ;
Qu’on a, comme une mer, sa houle ;
Quand sur le globe on se déroule
Comme un serpent, et quand on coule
De l’occident à l’orient ! »
V. Hugo, Juin 1828.

ISTRATI, Panaït (1884-1935)
Les chardons du Baragan, Nerrantsoula, Tsatsa-Minka et autres œuvres, Éditions Phébus, Paris 2006, (édition établie et présentée par Linda Lé)
L’un des plus grands écrivains de tous les temps, fabuleux conteur né au bord du fleuve à Braïla en Roumanie, surnommé le « Gorki des Balkans ».
L’écrivain d’origine roumaine situe quelques-uns de ses récits dans les paysages de son enfance, le Baragan, grande plaine qui s’étend au sud-ouest de sa ville natale et parmi les « habitants de l’embouchure » (Tsatsa-Minka).
« Dans l’embouchure, la terre n’a d’autre but que de forcer l’homme à se mesurer avec Dieu… »

JACOTTET, Philippe
Autriche, Éditions Rencontre, Lausanne 1966, et Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 1994
Un merveilleux petit livre publié en poche avec de beaux passages sur le Danube autrichien du discret poète et remarquable traducteur Philippe Jacottet. Même s’il date un peu (il fut publié pour la première fois en 1966), ce livre contient des textes inspirés sur le Danube autrichien et ses rives.

JELINEK, Elfriede (1946)
La Pianiste, 1983
« Les massacres sont certes terminés, mais les assassins sont toujours parmi nous », a écrit Elfriede Jelinek, l’une des héritières d’Ingeborg Bachmann la pionnière.
Elfriede Jelinek, écrivaine autrichienne, a reçu le prix Nobel de littérature en 2004.

JOKAI, Mor (1825-1904)
Écrivain hongrois né à Komárno (à l’époque Komárom, alors sur le territoire hongrois de l’empire d’Autriche) et qui s’impliqua dans la révolution de 1848-1849. Son oeuvre importante (romans, contes et nouvelles) aide le peuple hongrois à se réconcilier avec son histoire. Imaginaire et réalité s’imbriquent habilement dans ses écrits. L’homme en or, son roman le plus populaire et qui met en scène un batelier qui se retire du monde sur un île du Danube n’est étonnamment pas encore traduit en français.

ATTILA, József (1905-1937)
Poète hongrois

Au bord du Danube
1
Sur une pierre au bord du fleuve assis,
je vis voguer l’écorce d’un melon.
À peine j’entendis, plongé dans mes soucis,
l’écume papoter, et se taire le fond.
Tel jailli de mon cœur d’un seul élan,
le Danube allait, trouble, sage et grand.

Tels des muscles à leur tâche attelés
quand l’homme martèle, maçonne ou lime,
se retendait, avant de s’épuiser,
chaque remous et chaque vague infime.
Comme maman, me berçait l’eau tranquille
et lavait la lessive d’une ville.

La pluie commence, quelques gouttes rares,
puis cesse par manque de conviction.
Pourtant tel d’une grotte on fixe son regard
sur une longue pluie, je scrutai l’horizon.
Autrefois si coloré, le passé
pleuvait, fané, sans plus vouloir cesser.

Le Danube coulait. Et comme des enfants
dans le giron d’une mère féconde
à l’esprit absent, jouaient sagement
et réjouies me souriaient les ondes.
Le flot du temps les faisait vaciller,
immense cimetière aux stèle descellées.

2
Voilà cent fois mille ans que je contemple
ce qui soudain se révèle à mes yeux.
Un seul instant clôt du temps tout l’ensemble
qu’observent avec moi cent mille aïeux.

Je vois ce qu’ils n’ont pas pu voir jadis
pris par le labour, l’amour et la guerre ;
mais ce que ne peut voir leur petit-fils,
ce sont eux qui le voient, n’étant plus que matière.

Tels chagrin et joie, nous nous connaissons.
Le passé me revient; leur dû, c’est le présent.
Nous écrivons des vers: ils tiennent mon crayon,
moi, je me souviens d’eux, et en moi je les sens.

3
Ma mère était Coumane, et j’avais comme père
un Siculo-Roumain – ou roumain tout entier ?
J’aimais les douces bouchées de ma mère;
de père, les bouchées de vérité.
Mes gestes vivent leurs enlacements.
Parfois, cela me remplit de tristesse,
étant moi-même issu de cet effacement.
À moi –  » Tu verras, sans nous… – « ils s’adressent.

Ils s’adressent à moi, car déjà je suis eux ;
c’est ainsi que moi, faible, je puis être
non seulement fort, mais plus que nombreux :
depuis la nuit des temps, tous mes ancêtres.
Je suis l’Aïeul qui en des descendants se brise:
heureux, je deviens mon père et ma mère
qui à leur tour en moitié se divisent :
en Un plein d’âme ainsi je prolifère.

Je suis tout l’Univers – tout ce qu’il pouvait être :
les nations ennemies, chaque tribu.
Avec les vainqueurs morts, je refais leur conquête
et souffre du supplice des vaincus.
Árpád, Zalán… Les guerres des ancêtres…
Mongols et Turcs, Slovaques et Roumains
sont réunis dans ce cœur dont la dette
est un futur serein – Hongrois contemporains !

… Je veux travailler. Il est suffisant,
ce combat pour qu’on avoue le passé.
Du Danube qui est futur, passé, présent,
les doux flots ne cessent de s’embrasser.
La mémoire dissout en une paix posthume
les luttes acharnées de nos aïeux.
Régler enfin nos affaires communes,
c’est notre devoir. Et ce n’est pas peu.« 

Traduction de Tímár György

KRLEŽA, Miroslav (1893-1981)
Les Messieurs Glembay (1928-1931)
Écrivain croate prolifique, puissant et expressif, né à Zagreb, « poète des rencontres pacifiques ou belliqueuses entre Croates, Hongrois, Allemands et autres gens du Danube… ». Il dépeint admirablement la mosaïque des peuples et des cultures de la Pannonie. « Dans ses pages on retrouve, sombre et obsessive, une image insistante la boue de la Pannonie, cette plaine croato-magyare faite de poussière, de marias, de feuilles qui pourrissent et d’empreintes sanglantes laissées au cours des siècles par les migrations et les luttes de diverses civilisations, qui dans cette plaine et dans cette boue se sont mêlées et superposées comme les traces laissées par les sabots des coursiers barbares… »

« Sa Pannonie est un creuset de peuples et de cultures, dans lequel l’individu découvre la pluralité, l’incertitude mais aussi la complexité de sa propre identité. »

Appartenant au mouvement ouvrier, marxiste, il dépeint avec une plume féroce et agressive le démantèlement de l’empire des Habsbourg et l’agonie d’un ordre social désuet mais en même temps « sa protestation est nourrie de la culture de ce monde ». Krleža semble avoir été vers la fin de sa vie plus nuancé dans son regard sur la mosaïque habsbourgeoise.

KRUTA, Venceslas (1939)
Les Celtes, histoire et dictionnaire. Des origines à la romanisation et au christianisme. Collection « Bouquins », Éditions Robert Laffon, Paris, 2000

LAVERGNOLLE de, Gaston (?)
Le beau Danube Blond, Souvenirs et Impressions de voyage, Éditions ?, Paris, 1904

LEBEL, Germaine
La France et les principautés danubiennes (du XVe siècle à la chute de Napoléon Ier, Presses Universitaires De France, Paris 1955

LEIGH FERMOR, Patrick (1915-2011)
Dans la nuit et le vent, À pied de Londres à Constantinople (1933-1935),  Éditions Nevicata, Ixelles, 2016, traduction de Guillaume Villeneuve.
Première édition française complète de la trilogie composée des 3 livres de « Paddy » Leigh Fermor, Le temps des offrandes, Entre fleuve et forêt, La route interrompue dans une magnifique traduction et avec une préface de Guillaume Villeneuve. La route interrompue n’avait pas encore été traduite ni publiée en français jusqu’à aujourd’hui.

L’extraordinaire voyage de Patrick Leigh Fermor à travers l’Europe est passionnant pour le choix de son périple qui croise et longe le Danube à plusieurs reprises et pour l’époque à laquelle cet « écolier itinérant » anglais et peut-être un peu inconscient, âgé de 18 ans, choisit de partir à l’aventure. De ce voyage  initiatique qui débute pendant l’hiver 1933 il tire un journal de marche en deux tomes relatant ses aventures au sein d’une « Mitteleuropa » qui bientôt sombrera dans les ténèbres ; Mais c’est  encore dans la plupart des rencontres, une Europe tout autre que celle du montée du fascisme, qui l’accueille, l’héberge et souvent fête son passage. On découvre dans son récit original et d’une grande érudition quelques-uns des plus beaux lieux, paysages, villes et campagnes d’Europe centrale et du Danube, de grands personnages de ces confins aux destins incertains et tout un « petit » monde en mouvement dans son univers quotidien qui permet, dès le commencement, « de rentrer dans le vif du sujet sans débauche inutile d’explications préparatoires. »

« Le Danube inspire une passion contagieuse à ses riverains. Mes compagnons savaient tout de leur fleuve. »

LEMAIRE, Gérard-Georges (1948)
Le goût de Vienne, Éditions du Mercure de France, Paris, 2003
Un petit livre de courts extraits de textes d’écrivains consacrés à Vienne (Lamartine, Zweig, Montesquieu, Casanova, Greene, Roth, Musil, Jesenska, Canetti, Magris, Jelinek, Jaccottet…).

LE RIDER, Jacques (1954)
LA MITTELEUROPA, collection QUE-SAIS-JE, Éditions des presses Universitaires de France, 1994
Un remarquable petit ouvrage synthétique sur l’histoire et le concept de « Mitteleuropa » par l’un des meilleurs spécialistes dans ce domaine.
« La Mitteleuropa est-elle une réalité encore inquiétante ou seulement un fantôme du passé ? Est-elle une communauté de destins ? »
Où l’auteur pose encore une des questions essentielles sinon la question essentielle et toujours lancinante depuis le XIXème siècle : « L’Allemagne doit-elle ou ne doit-elle pas être considérée comme partie intégrante de l’Europe centrale? Pour les tenants d’une Zentraleuropa conforme à la tradition autrichienne contemporaine, la réponse est non. Mais les réalités économiques font de cette option danubienne séduisante un projet irréaliste dont les perspectives paraissent actuellement bien fragiles. « Contentons-nous de notre côté de rappeler simplement une réalité incontournable : le Danube prend sa source (ses sources) en Forêt-noire allemande. »

LEROY, Annick (1953)
Danube-Hölderlin, Éditions La Part de L’Oeil, Bruxelles 2002, collection Diptyque. Les photographies noir/blanc d’Annick Leroy consacrées au Danube sont accompagnées de deux belles études sur Hölderlin, par Holger Schmid et Luc Richier.
Annick Leroy a réalisé également un film, Vers la mer, film qui fut sélectionné à la Berlinale, essai cinématographique en forme de road movie, des sources du Danube jusqu’au delta du Danube, 1999.
Voir cinématographie danubienne à LEROY, Annick

LUC, Virginie
Journal du Danube, Paris, Éditions l’Âge d’Homme, 2014
Plaidoyer au long du Danube par une écrivaine, journaliste et cinéaste pour le peuple et la culture tsigane, trop souvent absents des cartes et des livres d’écoles.
Au fait comment dit-on Danube en Rom ?

MAGRIS, Claudio (1939)
Danube, Collection L’arpenteur, Éditions Gallimard, Paris, 1988
Le livre le plus érudit sur le Danube, magnifique biographie du fleuve et apologie inspirée (mais partielle) sur la civilisation multiculturelle danubienne. À lire et relire avant de partir ou de rester chez soi pour le plaisir !
Claudio Magris, auteur et traducteur italien, est né à Trieste en 1939. Jusqu’en 2006, il était professeur de littérature germanophone contemporaine dans cette même ville. Son œuvre la plus connue est sans doute Danube, une exploration littéraire de l’histoire multiculturelle des rives de ce fleuve. En 2009, Claudio Magris a obtenu le Prix de la paix des libraires allemands.

Claudio Magris

MARAI, Sandor (1900-1989) 
Divorce à Buda, Le Livre de Poche, Paris, 2004
Écrivain hongrois né à Košice (Slovaquie)

MARSIGLI, Luigi-Ferdinandino, Maréchal (1659-1730)
« C’est aussi le cas pour les gravures ornant le grand ouvrage du maréchal Louis-Ferdinand de Marsili, Danubius Pannonico – Mysicus, Observationibus Geographicis, Astronomicis, Hydrographicis, Physicis Perlustratrus et in sex Tomo digestus (1726), qui donne au fleuve l’aspect d’un vieillard viril et vigoureux, sorte de Saturne royal et bienveillant, de titan pas encore menacé par les centrales hydroélectriques, la canalisation et autres astuces de ces nains invincibles qui se sont rendus maitres de la terre. Il est vrai qu’en allemand Donau est du genre féminin, et au musée du Crime, à Vienne, un tableau d’O. Friedrich, datant de 1938 et représentant la dépouille d’un noyé, à pour titre Mère Danube — tableau modeste m’a dit l’expert en criminologie qui m’accompagnait en visite privée, parce que la police ne pouvait offrir que de modestes dédommagements, et devait donc s’adresser à des artistes de moindre renom. C’est sous l’aspect d’un adulte viril, toutefois, que le Danube symbolise l’Europe dans la fontaine du Bernin sur la Piazza Navona.

Sources : Claudio Magris, Danube, « Bissusla »

MARTONNE, de, Emmanuel (1873-1955)
Grand géographe français, spécialiste en particulier de la Roumanie.
« Il s’intéresse beaucoup à l’Europe centrale et participe aux travaux de la conférence de la paix en 1919. Durant ses travaux il insiste pour que les frontières tiennent compte, non seulement des regroupements ethniques mais, également d’un point de vue plus matériel des infrastructures du territoire, ce qu’il nomme le « principe de viabilité ». Il contribue ainsi au dessin des frontières de l’entre-deux-guerres dont certaines sont toujours d’actualité. »
La Gazette du géographe
On lira également l’article d’Emmanuelle Boulineau : « Fronts et frontières dans les Balkans : les géographes et les enjeux frontaliers sur le Danube en 1919-1920 », Balkanologie [En ligne], Vol. X, n° 1-2 | 2008, mis en ligne le 03 juin 2008, consulté le 30 juin 2015. URL : http://balkanologie.revues.org/396

MASPERO, François (1932-2015)
Balkans -Transit, Éditions du Seuil, Paris, 1997

MENASSE, Robert (1954)
Le Pays sans qualité, 1992, Éditions ?
En finir avec les nationalismes. Pour une Europe de la paix et une nouvelle démocratie, Éditions Buchet/Chastel, 2015, traduction de Dominique Venard

Robert Menasse, écrivain autrichien, est né le 21 juin 1954 à Vienne où il vit actuellement. En 1980, il termine des études de lettres et de philosophie par une thèse de doctorat sur « Hermann Schürrer : le type du marginal littéraire ». Il part ensuite au Brésil où il séjourne de 1981 à 1988, comme assistant à l’université de São Paulo. R. Menasse se consacre exclusivement à l’écriture depuis 1988. Son œuvre est essentiellement constituée de romans et d’essais sur la culture autrichienne. Depuis 1997, il écrit également avec sa fille et sa femme des livres pour les enfants. Très concerné par les développements politiques et culturels de son pays, il publie régulièrement ses points de vue dans la presse autrichienne et allemande. Honoré du Prix national autrichien de l’essai en 1998, il en a reversé la dotation pour refonder un prix indépendant « Jean Améry » qui a été remis à l’essayiste autrichien Franz Schuh.
« L’identité autrichienne. Le terme a quelque chose d’une pièce sombre et sentant le renfermé, dans laquelle on entre pour une quelconque raison, on a envie de tirer les rideaux et d’ouvrir la fenêtre pour faire entrer l’air et la lumière. Mais si la fenêtre ne donne sur rien et que la pièce ne reçoit que peu de lumière ? ».
Sources : cité par Pierre Burlaud dans son livre Danube-Rhapsodie (p. 148)

MEULEAU, Maurice (1927)
Les Celtes en Europe, Éditions Ouest-France, Rennes, 2011

MICHEL, Bernard (1935-213)
Nations et nationalismes en Europe centrale, XIXe-XXe siècles, Éditions Aubier, Collection historique, 1995

MICHELET, Jules (1798-1874)
Le Danube, 1863
« Il y a déjà longtemps que ce vieux roi des fleuves de l’Europe, roi captif, roi barbare, aux tragiques aventures, s’est posé devant moi comme un sombre problème, qui peut-être est celui du monde.

La première fois que nous nous rencontrâmes, j’eus une triste intuition de lui et de sa destinée.
Je descendais les hauteurs de la Forêt-Noire et j’entrais dans la Souabe. « Voulez-vous voir, me dit-on, la source du Danube ? » On me mène au petit jardin d’un ex-prince allemand. On me montre un petit bassin, misérable baquet de pierre. « Regardez au fond… le voilà.

J’avais beau regarder. À peine un faible mouvement indiquait le point d’où commence à sourdre cette grande puissance, ce géant des fleuves qui, par sept cent lieues de cours, va porter une mer d’eau douce au sein de la mer Noire.

Triste origine ! me dis-je. Pauvre fleuve ! Sujet à ta source d’une principauté sans sujets, tu t’en vas de captivité en captivité; d’obstacle en obstacle, de tyran en tyran. Durement barré sur ta route et forcé de monter au nord, tordu vers le midi à Bude, tordu vers l’ouest à Belgrade, tu mords ta rive de Servie, et tu n’en es pas moins brisé, rebrisé aux Portes de Fer. Affranchi du pont de Trajan, que te sert qu’il soit détruit ? Tu vas finir honteusement aux douanes du Cosaque. Là, tu expires, et tes maîtres ont stipulé, chose impie! qu’à tes fertiles embouchures, plus fécondes que le Nil, le pays serait à jamais désert !

Tes trois peuples sont trois prisonniers. On leur a fermé les deux portes par où ce grand monde intérieur pouvait respirer, l’Adriatique et la mer Noire.

Ils te disent barbare, sauvage. Ce sont eux qui t’ont fait tel. Rien d’inhumain dans ton génie. Un caractère de mansuétude résignée, virile, frappe dans les images des captifs danubiens qu’on voit au musée du Louvre. Et les bustes gigantesques des hommes de Dacie que conserve le Vatican, majestueusement chevelus comme les monts des Carpathes, ont la douceur du noble cerf qui erre aux grandes forêts. Ton génie est bien plus encore dans les graves mélodies qui se mêlent au bruit de tes flots et suivent ton cours. L’âpre douceur des chants du pasteur serbe, le rythme monotone du batelier, le refrain du Roumain et du raïa bulgare, tout se fond dans une vaste plainte, qui est comme ton soupir, ô fleuve de la captivité !

Qui a souffert, si ce n’est toi ? Qui a porté le grand combat du monde, le choc alternatif du Nord et du Midi, guerres de races, guerres de nations et guerres de religions; que de carnages et de supplices !

Mais l’éternel supplice, c’est la misère et l’avanie. Quand le patient raïa a desséché, fertilisé, on vient lui prendre sa terre ; il recommence à côté. On a vu en une fois trente mille familles bulgares émigrer de la rive turque et passer en Valachie, de la misère à la misère. Ils fuyaient l’avanie fantasque; mais qu’est la Valachie ? L’avanie permanente.

Par une dérision singulière des lois que nous croyons imposer à l’histoire, le temps, qui améliore, dit-on, partout, ici a toujours empiré. Avant-garde jadis du grand empire romain et bien-aimée colonie de Trajan, puis petit royaume barbare, belliqueux, héroïque, et l’une des barrières de l’Europe, la Roumanie désarme et perd son institution militaire quand l’Europe a formé la sienne. Elle en est au seizième siècle à disputer la liberté civile ; le servage y commence quand l’Occident ne connaît plus de serfs. Une constitution libérale, lui vient, pour comble de misère, la liberté pour payer double impôt. Dernier bienfait qui extermine, l’amitié de la Russie. »

MIQUEL, Pierre (1930-2007)
La Poudrière d’Orient, (Tome 4) : Le beau Danube bleu, Éditions Fayard, Paris, 2004
L’histoire des Poilus d’Orient.

MONTECUCCOLI, Maréchal (1609-1681)
La Hongrie en l’an 1677
« Les Hongrois sont fiers, inquiets, volubiles, jamais contents. Ils gardent quelque chose de la nature des Scythes et des Tartares, dont ils tirent leur origine. Ils aspirent à une licence effrénée… comme autant de Protées, qui tantôt aiment et tantôt n’aiment plus, foulent aux pieds ce qu’ils ont exalté, qui veulent et qui ne veulent plus… »

MORAND, Paul (1888-1976)
Voyages, collection Bouquins, Éditions Robert Laffont, Paris, 2001

MORAND, Paul
Entre RHIN ET DANUBE, Éditions Nicolas Chaudun, Paris (?), 2011
Paul Morand consacre une place non négligeable au Danube dans ses écrits sur l’Europe centrale. Le style élégant enveloppe un propos souvent léger, amusant voire superficiel, ressemblant parfois à une sorte de chronique géographico-historico-mondaine du Danube et des villes et des paysages qu’il traverse. Ses écrits semblent néanmoins témoigner d’un réel intérêt pour le fleuve et l’histoire qui l’accompagne. L’écrivain fut ambassadeur de France en Roumanie en 1943-1944 pour le régime de Vichy et, de juin 1938 à octobre 1939, membre de la Commission Européenne du Danube qui siégeait à Galaţi.

« Le Danube »
« Ce serpent est long comme deux fois la France ; c’est le fleuve le plus étendu d’Europe, avec la Volga, mais la Volga n’appartient qu’à un état alors que la Danube en traverse sept ; son cours ressemble à celui d’un professeur de géographie politique ; il réussit même à percer le rideau de fer, car on n’a encore pu enchaîner un fleuve et celui-ci surtout.
Le Danube réunit d’infinies beautés, historiques, naturelles, dramatiques, contradictoires ; après avoir, en Bavière, mousser comme de la bière, il coule comme de l’huile en Orient. Ici c’est un ruisseau, là une mer ; tantôt indépendant comme ces torrents que dévalent les trains de bois flottés, tantôt alangui, marécageux, presque semblable à ces cours d’eau qui se perdent dans les sables, et que les géologues nomment des rivières qui se suicident. Rhin, Rhône et Danube ont de très voisins berceaux, mais dès leur naissance ils obéissent à des pentes opposées qui les dispersent ; si les deux premiers accourent vers nous, le Danube nous fuit, et dès sa naissance badoise, tourne le dos à l’Occident ; son destin est l’Orient ; il finit sa vie de fleuve où le soleil commence sa vie d’astre.
La Forêt-Noire, le Schwarzwald, avec ses grottes qui servirent de cachettes aux fuyards de la guerre de Trente Ans, avec ses sapins guillochés, ses mélèzes enchenillés, ses sources creusées comme des cicatrices et sa toison épaisse, si brûlée en automne qu’on la pourrait nommer Forêt-Rouge, est la poche d’eau où remue le grand enfant qui va naître.
À Donaueschingen, dans une sapinière, au pied du palais du prince Fürstenberg, au fond d’un bassin de pierre entourée d’une balustrade verdie, sculptée des douze signes du zodiaque, quelques cascatelles couleur d’aigue-marine réunissent leurs gouttelettes glacées ; c’est la source première ; il faut envier le palais Fürstenberg de posséder, derrière ses parterres de roses, éclairés par des lanternes de fer forgé, comme un simple saut-de-loup, ce qui va être le Danube ; au haut de la nymphée, une grande femme de pierre personnifie die Donau, nom prestigieux, nom féminin en allemand. Plus loin, dans le parc, la petite rivière, la Breg va, avec sa soeur, la Brigach, « mettre le Danube en route » (bringen die Donau zu Weg), comme dit l’adage local, ce Danube, hydre interminable qui finit dans la Mer Noire par les trois têtes monstrueuses et fétides de son delta.
Père tranquille, il suit d’abord la pente de la facilité, c’est-à-dire qu’il s’écarte de ce vaste déversoir qu’est le lac de Constance (seul possédé par le Rhin), ce Bodensee, ce plus beau lac d’Europe, vrai miroir à nuages et à neiges, dont le sépare les molles collines badoises.
A Tuttlingen, plus vigoureux, le Danube remonte droit vers le nord, bleu comme une truite au bleu, agrandi de sources, avant d’arriver à Ulm la Wurtembergeoise, sa première grande ville, celle où l’on s’est toujours battu pour son passage. Après Ulm, Ratisbonne.
Ici, le Danube entre dans l’histoire, qui l’utilisera désormais par tous les bouts, les légions romaines de Tibère s’en servant comme de la muraille septentrionale du « limes », les croisés le descendant, en route vers Byzance et Jérusalem, tandis que le remontent les invasions des Avars, Goths, Wisigoths et des Huns, ancêtre des Hongrois.
Déjà, à Donauwörth, on apercevait de ces bateaux-lavoirs carrés que les allemands nomment des « boites » ; à Ratisbonne commence la navigation régulière, vers le Weltenburg ; la ville est située à l’extrême nord du cours, comme Orléans sur la Loire, au confluent de la Regen et de la Naab. C’est une cité qui s’élève sur les stratifications de l’histoire, camp romain, siège des diètes impériales, décor des amours de Charles Quint et des nuits de Napoléon, coupées de rêves stratégiques ; cet escalier à plate-forme qui va dominer le Danube, c’est tout simplement le Walhalla, l’Olympe nordique, consacrée par Louis Ier de Bavière aux grands hommes de la Germanie. Ce n’est pas là le seul rappel des légendaires Nibelungen, présents à chaque méandre du fleuve ; tout le Danube, ici, est wagnérien.
Comme tout ce qu’a construit ce naïf Louis de Bavière, filleul de Louis XVI et de Marie-Antoinette, ce panthéon bavarois est une copie du Parthénon ; en quoi il ressemble à ses soeurs, la Glyptothèque et la Pinacothèque munichoises. Cela date de 1842, époque du faux grec et du gothique troubadour, où Louis Ier se promenait sur les bords du Danube en pourpoint de velours noir, chaîne d’or et toques à plumes, accompagné de cette belle maîtresse qui finit par lui coûter sa couronne, la danseuse Lola Montès, une irlandaise qui se faisait passer pour sévillane. Ensemble, les amants ramassaient les morceaux de marbre de la région pour en daller les Walhalla à porte d’airain, où les Walkyries de la salle des morts annoncent les Ases dorés sur tranche. Ce paganisme scandinave, qui nous fait sourire, exaspérait le parti clérical bavarois ; aussi à la veille des révolutionnaires années 1848, Munich était-il divisé en « ultramontains » et en « lolamontains ». Est-ce de ce grand-père trop original que Louis II de Bavière hérita sa passion des châteaux « altdeutsch » ? Le grand-père détestait, d’ailleurs, son petit-fils : « Ce Wittelsbach n’en est pas un disait-il, il n’aime pas les femmes. »
Les grandes villes se font déjà plus nombreuses, chacune lançant son pont sur le fleuve, mettant son joug sur l’indomptable. Les bateaux du Loyd bavarois assurent le service de Passau à Linz. Pont suspendu de Passau où l’eau a trois couleurs, comme un drapeau ; au vert jade de la neige fondue, l’Inn mêle son lait, descendu du Tyrol, et l’Ilz, qui arrive de Bohême, ses eaux du noir-bleu de la mouche à viande ; tout se noue autour de la vieille forteresse d’Oberhauss dont Napoléon ne fit qu’une bouchée.
Linz, dont la grand-place descend se désaltérer au fleuve, voit entre les façades à colombages de ses vieilles résidences branlantes, surgir la colonne de la Trinité, action de grâce de la cité reconnaissante d’avoir échappé à deux fléaux, la peste et les Turcs ; les églises, les Dômes, les cloîtres, les flèches gothiques commencent à faire place , dans le ciel, à ces clochers bulbeux qui font déjà rêver à la Russie orthodoxe et aux mosquées. De plus haut encore, de la Franz-Josefwarte au Jägermayr, le Danube lèche les promenades en équerre, les tours de l’enceinte maximilienne, les dévalées de sapins droits comme des tuyaux d’orgue.
Si nombreux, les châteaux, si hérissés sur leur rocher, entourés du poil des conifères et de la fourrure des châtaigniers, si noblissimes que les célèbres « burgs » rhénans font, à côté d’eux, figure de chalets suisses. Leurs tours en surplomb dominent les gouffres, les chutes d’eau baveuses, leurs créneaux édentés menacent l’horizon. Obernzell, résidence des princes-évêques de Passau, Viechtenstein, qui commande la frontière austro-bavaroise, les forteresses dont les fameux tourbillons du Strudel sont les douves, Marsbachzell et sa tour, Wilhering et sa belle église baroque, Niederwaldsee où François-Joseph fêtait Noël avec sa fille chérie, Valérie, le très ancien Persenbeug, où l’aiglon passait ses vacances, magnifiques ruines féodales d’Aggstein, Greinburg, fief des Saxe-Cobourg, Krems, que brûla Mathias Corvin, Tulln, la Comagène des légions romaines, antérieure à Vienne et enfin Dürnstein où fût enfermé Richard Coeur de Lion.
Ce Richard Ier d’Angleterre, orgueilleux jusqu’à la démence, s’était mis à dos tous les croisés, devant Jaffa ; dans un accès de rage, il avait même piétiné les étendards du Duc d’Autriche. Au retour des croisades, la tempête jeta son bateau sur les côtes de Dalmatie. Pressés de rentrer à Londres, où son frère Jean sans Terre complétait contre lui avec Philippe Auguste, l’imprudent Coeur de Lion décida de prendre la voie de terre, plus rapide, à travers l’Autriche et l’Allemagne, et atteignit le Danube à Dürnstein, où il s’apprêta à passer la nuit à l’auberge du lieu, sans se douter que, dans le voisinage, son ennemi, le duc d’Autriche, résidait au château. Occasion inespérée de venger l’affront fait aux couleurs autrichiennes : l’auberge fut investie ; alerté, Richard se déguisa en marmiton et se réfugia à la cuisine ; les archers le surprirent à tourner la broche et le reconnurent immédiatement à sa taille gigantesque. Enfermé au château de Dürnstein, Richard dut payer une première rançon de soixante mille livres au duc Léopold, qui le livra à l’empereur d’Allemagne. L’empereur aussi avait des griefs à faire valoir contre son compagnon de croisade ; coût : cent mille marks d’or. Les bourgeois de Londres durent tout payer. La halte de leur illustre monarque sur le Danube leur avait coûté cher.
À côté des châteaux, les vieilles abbayes, les vieilles abbayes appelées à évangéliser les Slaves, à arrêter les Hongrois ou les Turcs, les unes encore forteresses, les autres déjà baroques, rose, vert amande, refuges cisterciens ou résidences de dieux wagnériens, vieux repaires hussites, Spitz, Stein, Melk enfin…
Melk, le plus beau sanctuaire danubien, où résidèrent ces Babenberg, premiers dynastes autrichiens de l’an mille avant les Habsbourgs… Melk sur son roc, à l’entrée du défilé de la Wachau, avec sa terrasse insolente sur le fleuve, sa cour des Prélats, sa salle des Marbres, sa bibliothèque bénédictine, aussi belle que celle de la Hofburg.

« Vienne, au cours de son histoire, n’a pas fait au Danube sa place ; l’utilisant défensivement, économiquement, puis industriellement, elle l’a négligé en urbanisme. Elle lui tourne le dos, elle lui rogne son espace vital, elle s’agrandit au dépends de terres alluvionnaires. Sous les canons de Wagram, le Danube offrait encore un paysage d’îlots, qui servaient de douves aux fortifications alors intactes, des champs d’épandage, de terrains réservés aux inondations. Après 1870 commencèrent les endiguements, les lits artificiels. J’ai connu jadis un Danube viennois, pas encore assagi, comme il l’est aujourd’hui ; dans les îles, sous les saules, les restaurations d’été risquaient d’être emportées par les inondations. Moi-même, j’y ai bu un coup un soir où éclata un de ces formidables orages viennois, fréquents en automne. Soudain le vent arracha les nappes à carreaux bleus et rouges, retourna les feuilles de peupliers qui, de vertes, devinrent blanches ; effarés les dîneurs et les danseurs sautèrent sur les tables ; tandis que l’orchestre grimpait sur le toit et continuait, impavide, à jouer des Bettelstudent sous les cris des oiseaux pêcheurs. Après l’Anchluss, des travaux gigantesques firent jaillir une Vienne industrielle. Pour replacer le Danube dans son décor, il faut grimper au Kahlenberg, au Leopoldsberg, où les assaillants trouvaient jadis les clefs de Vienne. Du Wienerwald aux premiers monts de Bohême, la ville se lit aisément, dans son admirable ceinture de forêts, son île aux Oies, paradis nautique, ses vignobles, ses coupoles, Hofburg ou Belvédère, dominés par la flèche de Saint-Etienne.
Depuis le départ des Russes, les services de bateaux à vapeur ont repris entre Linz et Passau, mais la descente vers Budapest, un des charmes de Vienne, a fait place au no man’s water… Sur l’eau, couleur de « mélange » (le café crème viennois) où l’Inn, la Salzach, le Traun, l’Enns, l’Ybbs, la Wien gonflent le fleuve, on arrivait en vue du Schlossberg d’Hainburg, vieux burg roman, aux fortifications intactes, qui commandait l’entrée en Hongrie. À Nickelsdorf, c’est le Burgenland, la région des châteaux, que se disputèrent si souvent Vienne et Budapest. Il faut signaler, à Vienne, un curieux monument commémoratif, dédié à tous les noyés du Danube.

Slovaque, puis hongrois, le Danube effleure Bratislava, ex-Presbourg, sur la rive gauche, au commencement des Carpathes. Située dans la plaine de Moravie, au confluent de la Morava, Devin lui fait suite. Quel joli accueil réservait la capitale de la Slovaquie, aux temps préhistoriques de la Petite Entente, quand nous la visitâmes pour la première     fois ; les drapeaux alliés flottaient aux doubles fenêtres, la batellerie à la cathédrale Saint-Martin et au château gothique une ceinture de coques blanches, tandis qu’à l’île du Seigle (Grande Ile Zitny), la plus grande île fluviale d’Europe, les baigneurs couleur de poulet cuit à l’infra-rouge saluaient notre yacht au pavillon européen de la Commission européenne, ou internationale, partout alors respectée.
Sur la rive droite, peu au dessous de Bratislava, le Danube devient hongrois.
À Komarno, patrie de Franz Lehar, nous quittons la Tchécoslovaquie. Mohacs, c’est la puzta, l’infinie plaine à blé. En été, la chaleur est telle que la terre boirait le fleuve, si un sang nouveau ne lui arrivait des derniers contreforts alpestres ou des Carpathes naissantes, la Leitha, la Drave, la Save, la Tisza, la Morava.
Sur un bras du fleuve, qui a nom le Petit Danube, après Györ, dont la cathédrale domine les vignobles de muscat, après Esztergom, résidence du primat de Hongrie, première sentinelle avancée de Budapest, le Danube plonge droit vers le sud ; il est maintenant hongrois sur ses deux rives ; il entre dans la capitale par l’île Marguerite, coiffé successivement de huit ponts, Buda sur la rive droite, dominée par la vieille citadelle, Pest à gauche. Comment oublier les couchers de soleil de Hongrie, quand le vapeur s’amarrait vers le soir à l’embarcadère de la place Eötvos ?
La colline du Buda étageait déjà ses feux ; les grands hôtels des rives, Dunapalota, Ungaria, les casinos de l’île Marguerite, les lanternes des campeurs de ses plages faisaient de Pest la ville la plus désirable d’Europe ; portés sur l’eau, les sons feutrés du cymbalum, les violons rageurs ou sanglotants des tsiganes se mêlaient au gémissement des cordes enroulées autour des bittes.
Aujourd’hui, le Danube est redevenu ce qu’il était au temps des Turcs, « un chemin de guerre », et le dragon a terrassé saint Georges au pied du Mont Gelbert.
Une fois passé les ponts, les rives sont désormais d’une platitude amazonienne. Des bateaux à vapeur remontent et descendent le fleuve, d’Esztergom à Mohacs, la dernière grande cité méridionale, le lieu de la terrible défaite qui fit de la Hongrie, vaincue par Soliman, une province turque pendant cent cinquante ans. Le Danube, ayant terminé son plongeon vers le sud, prend alors sa direction définitive vers l’Orient et va entrer en Yougoslavie. A peine a-t-on appris en hongrois « Rien à déclarer » (Semmi elvámolni valóm mincs) et en tchèque (Nemám nic k proclení) il va falloir le dire en serbe, ô Babel !…
De la terrasse de Kalemegdan, au confluent de la Save et du Danube, pendant mes longues heures de résidence forcée, entre deux séances de la Commission, à Belgrade, capitale la plus ennuyeuse d’Europe, je contemplais longuement ces deux longs fleuves tendus comme des cordes pour barrer la route…
Sur ces sept collines, dominées par une citadelle ébréchée, Belgrade a été reconstruite dans ce que les guides nomment « un esprit résolument moderne ». Elle ne vaut rien que par sa gare et ses bureaux de voyage, prometteurs de monastères, de cascades, de rivages adriatiques, de pêches et de ces chasses incomparables de Yougoslavie. On se demande pourquoi les Celtes, les Avars, les Slaves et les Turcs se sont entr’égorgés pour cette morne ville, sinon parce qu’elle tient une des clefs du Danube.
Yougoslave jusque-là, le fleuve va devenir frontière roumaine ; les deux nations, par dessus l’eau, se regardent sans aménité ; les Carpates transylvaines froncent le sourcil en face des Balkans qui font la moue… Le Danube commence ses embardées, ses crochets de lièvre en fuite ; il approche du plus célèbres défilé européen, repaire de fraîcheur, antre de tourbillons, asile de rapides, si encaissé que sa profondeur va atteindre une cinquantaine de mètres.
Voici le plus grand rapide d’Europe, dernière échelon du fleuve qui saute enfin la dernière marche de l’escalier. Le bateau y mène de Belgrade en dix-huit heures. On peut survoler les Portes de Fer : l’avion offre une vue d’ensemble merveilleuse avec ses pleins et ses vides, ses noeuds et ses ventres, ses hernies et ses goulots. Mais avec la hauteur disparaissent le relief, la surprise, la vie dangereuse de ce fleuve étranglé ; seule la navigation permet des étonnements successifs (voyager, c’est s’étonner, sinon le voyage n’est plus qu’un déplacement). L’imprévu vient d’abord des étendues variables de la surface ; ici, le Danube a 300 mètres de large (bassin des Buffles) ; l’instant d’après, il en a 1 000 ; tantôt le voyageur voit jusqu’au fond de l’horizon, tantôt il se croit enfermé dans une cuvette rocheuse, hermétiquement close ; puis les parois du décor coulissent et livrent au dernier moment passage, dans un bouillonnement qui fait craindre que le bateau n’aille se fracasser sur la falaise, comme une auto, qui, ayant raté son virage, irait s’abimer contre un mur ; mais un coup de barre a suffi à écarter le danger. Dans ce paysage inhumain surgit soudain un mirage de bazar : petites maisons blanches, minarets, mosquées, forteresse ottomane en ruine ; c’est la petite île d’Ada-Kaleh où se réfugièrent autrefois des Turcs et qu’on leur laissa coloniser en paix.
Le Danube va enter dans le défilé (Djendap en serbe) ; serbo-magyar jusque-là, il en sort serbo-roumain, puis roumano-bulgare. Ces bigarrures de nationalités ne lui font pas peur ; il en a vu d’autres ; sa plus grande forteresse, maîtresse des Portes de Fer, Golubac aux énormes tours, fut, à travers les siècles, disputée avec acharnement : Romains, Huns, Turcs, Serbes, Hongrois, Autrichiens, Valaques s’y sont entremassacrés. De 1337 à 1867, elle a été prise par les Turcs et reprise par les chrétiens onze fois. Telle est l’importance stratégique des Portes de Fer.
Le Danube passe le défilé ; la pierre de Bubajik marque l’entrée d’un petit Bosphore ; murailles de falaises, couloirs et bassins, jusqu’à Kladovo où le pont à vingt arches de Trajan, fut, dit-on, dans un accès de dépit envieux, détruit par Hadrien. Les derniers postes serbes, Mihailovac, Prahovo, marquent déjà l’approche de la Bulgarie. Pour éviter les pires rapides, le bateau prend le canal de Sip. Le cadre rocheux est brisé : c’est l’espace… et la monotonie.
Aussitôt terminé ce combat entre l’eau et le roc, Le Danube victorieux n’a plus qu’à se laisser vivre : un fleuve qui commence à ressembler à la mer, quel ennui !… C’est l’Olténie et ses grandes villes prospères, Turnu-Severin, Craoiva, la richissime plaine à blé, pays de l’Oltean tenace « aux trente-deux molaires ». Le fleuve descend paresseusement vers cette Mer Noire qu’on a appelé le cul-de-sac de l’Europe. Sur sa rive droite, le granit de la Droboudja lui refuse toute alimentation ; c’est donc des Carpates, à gauche, qu’il va recevoir ses affluents puissants, parfois sauvages, parfois aimables, toujours engendreurs de richesses, le Jiul, l’Oltul, aux traits admirables, la Dimbovitza, qui arrose Bucarest, l’Argesul, le long Siretul et l’interminable Pruth, jadis frontière russe.
De là dévalèrent jusqu’à Izmail les armées de la Grande Catherine, dans le dessein de libérer les Balkans du joug de l’Infidèle ; là, l’illustre maréchal Souvorov, ce héros d’une témérité presque mythologique, à la tête de sa poignée de Cosaques, et contre les ordres de son généralissime, prit d’assaut la place forte turque et incendia les flottilles fluviales des Ottomans, massacrant les Janissaires du pacha Andouslou, qui avait dit : « Les eaux du Danube rouleront à rebours avant que je me rende. »
À l’automne de 1918, sur cette même route, mais en sens opposé cette fois, et du sud au nord, un autre grand stratège, le maréchal Franchet d’Esperey, déploya sa nouvelle armée française du Danube, montant de Salonique et renforcée des troupes franco-roumaines du général Berthelot ; devançant ses instructions, tandis que reculait le maréchal allemand Mackensen affaibli par la défection des soldats tchèques et hongrois, Franchet d’Esperey osait, d’ici, franchir le Danube et s’élancer sur Vienne.

Au lendemain de la guerre de Crimée, l’Europe, consciente du danger qu’il y aurait à laisser la Russie se rendre maîtresse des bouches du Danube, créa la Commission européenne du Danube, chargée de la surveillance du fleuve et de l’exécution des traités internationaux qui le concernaient. La Commission était un petit royaume fictif, indépendant, avec son pavillon, ses yachts désuets, ses fonctionnaires de toutes nations, son budget-or et ses loisirs, employés par nous, ses membres, à tirer les aigrettes ou les gypaètes et à pêcher l’esturgeon dans des barques à voiles carrées ; dans nos vieilles résidences Napoléon III, nous nous bourrions de cochons à la broche et étouffions de caviar ; on se serait cru, à Braila, à Galati, revenu au temps de Gobineau. Aujourd’hui la guerre a soufflé sur tout cela et l’Europe s’est laissée chasser de cet avant-poste diplomatique, comme de tout l’orient.
Après Galati, le Danube se divise en trois bras, qui s’éloigneront l’un de l’autre jusqu’à une centaine de kilomètres. Ils vont mourir dans la mer Noire, dans ces petits ports où s’écoulent le blé danubien, par les soins des colonies grecques qui pratiquent là cette profession d’exportateur depuis la Grèce antique. Les trois pointes du trident se nomment Saint-Georges, Sulina et Kilia. Entre elles s’étend le delta.
C’est une région extraordinaire, qui ne ressemble à aucun autre delta, pas même à celui du Nil, célébré par Lawrence Durrell. Elle est immense et sans âge ; une province française y tiendrait facilement ; les pêcheurs, qu’on aperçoit parfois dans des barques couleur de caïques, ont l’air d’amphibies sorties de la préhistoire. Y-habitent-ils seulement ? On peut en douter, car où est le sol, où est même l’eau ? Ni les échasses ni le flotteur d’un hydravion y trouverait appui. Sur des milliers d’hectares, à perte de vue, ce ne sont que des roseaux infestés de sangsues, à plumets violets ou bruns, que le vent fait plier avec un bruit de taffetas. Tout sent la carpe, tout sent la fiente d’oiseau ; empire paludéen grouillant de nageoires, frémissant d’ailes : avides cormorans, aigrettes d’Égypte, canards de Scandinavie, cygnes de Sibérie, venus là pour vivre à l’abri de l’homme. Mais l’homme a appris à en tirer profit. Ce gigantesque marécage, cette     « balta « , contient tout un peuple lacustre : réfugiés cachés dans l’eau, comme autrefois les Vénètes fuyant l’invasion des Goths, insoumis craignant la conscription, « Skoptzi »[14] russe protégeant leur foi contre l’Évangile remanié de Moscou, tziganes campés depuis le XVIIe siècle ; ils passent dans leurs barques noires qui rappellent les gondoles. Ce sont les « Lipovan »[15], les grands pourvoyeurs de caviar de Vilkow. Leur vie, c’est de pêcher le « morun » pour les étals de Vilkow.

Vilkow est le port exportateur du caviar ; ce village sinistre et misérable vit de cette friandise de luxe ; sur les grandes tables, l’énorme poisson, blanc comme un corps de femme nue, est fendu vivant ; le caviar est arraché de ses entrailles, salé sur place, enfermé dans les rondes boites de métal et expédié vers les capitales d’Occident. Le contraste entre les êtres informes et boueux, venus de l’âge lacustre, qui peinent là, et les élégants restaurants, qui percevront des prix exorbitants, révoltent l’esprit et le coeur ; las de ces spectacles, nous retournions au yacht, où notre chef faisait cuire le succulent « bortsch » au poisson, qui n’a d’égal que la portugaise bouillabaisse de Setúbal. Barbets, brèmes, esturgeons s’entassaient dans des chaudrons, avec arêtes, branchies, nageoires et laitances, arrosés d’huile au paprika et d’oignons frits. Deux heures plus tard, il n’en restait que quelques tasses de bouillon, vrai élixir de poisson, avec quoi nous arrosions notre omelette aux oeufs azurés des poules d’eau, aux oeufs verts des bécasses, bleus des canards, tribut payé par l’immense gent ailée et voyageuse qui passe les étés au Kamtchatka, les hivers sur le Tchad et qui, entre ces saisons, élit pour demeure le delta.
Avec la Mer Noire finissent le Danube et son histoire ; admirons encore sur la carte la beauté du grand fleuve allongé comme une nudité orientale d’Ingres. Un pont a été jeté sur le Danube pour relier Giurgiu, roumain, à Ruse, bulgare : il porte le beau nom de pont de l’Amitié… seulement nul n’a le droit d’en approcher. Faisons le voeu qu’avec l’accélération — ou la décélération — de l’histoire, le pont de l’Amitié soit un jour ouvert à tous les hommes.
« LE DANUBE », in ENTRE RHIN ET DANUBE, Éditions Nicolas Chaudun, ?, 2011

« Budapest et le Danube… »
« De ma fenêtre, je voyais le Danube, à midi, en feu comme un fleuve de naphte, traverser des grands ponts majestueux aux noms augustes ; j’étais réveillé le matin par les sirènes des blancs bateaux, pavoisés et pleins à sombrer d’une foule avide de bains, de soleil et de courses dans les bois. Plus vertes que les feuilles, les grosses coupoles ventrues, bulbeuses, des églises, émergeaient de l’horizon. Ce Danube est un fleuve grand comme le Mississipi ou le Potomak ; ce n’est pas un de ces petits fleuves européens comme la Tamise ou la Seine, des rivières à peine, sur le dos desquelles tout le monde grimpe avec irrévérence, comme sur le dos d’un animal domestique : le Danube porte avec dignité et sans déchoir ses touristes, comme une mer.
J’étais arrivé à Budapest en cette courte saison qui est entre l’hiver et l’été, si courte qu’on peut à peine la nommer le printemps., En effet, aussitôt la glace cassée, aussitôt abattus les vents de Galicie, la chaleur arrive, saharienne, chaleur de la pleine hongroise qui roussit tout, sauf quelques bouquets d’acacias émergeant de l’immense plaine à blé. Budapest, au fonds d’une cuvette boisée, bien qu’arrosée et abritée, n’échappe pas à cet embrasement général. En quelques jours, l’on quitte le voisinage des poêles de porcelaine pour aller s’étendre sur les plages artificielles de l’île Sainte-Marguerite, respirer sur les hauteurs du golf, d’où l’on voit le fleuve se perdre dans la platitude infinie de ces terres noires, que dominent les silos, ces élévateurs de grains, qui ne finiront qu’aux rivages de la mer Noire. En quelques heures, le Kovacz, le New York, l’Ungaria, tous les restaurants de Pest, et même Gerbaud, la plus célèbres des pâtisseries de l’Europe centrale, – sont désertés, et c’est vers le Pesth d’été, vers le Spolarich, vers le Sanatorium, vers le Restaurant champêtre, à volets verts, de la tour Elisabeth qu’il faut aller. Autour du cymbalum comme autour d’un cercueil, des musiciens debout et affligés semblent veiller le cadavre d’un temps qui s’est enfui, et on se rappelle que le Danube compte plus de suicidés qu’un autre fleuve…, Seules, les porteuses de pain, à robe courte, si alertes avec leur petit bonnet blanc, égayent ces lieux de plaisirs. Elles vendent leurs petits pains avec des airs complices, comme une friandise défendue.
Avec l’été, une génération hongroise nouvelle sportive, athlétique, rasée à l’américaine, qui n’a pas connu la guerre si lointaine déjà, envahit les plages, plonge dans les eaux sulfureuses, dans les vagues artificielles, ou dans le Danube du haut des tremplins et s’entraine pour les championnats de water-polo. La Hongrie est mutilée mais ses fils et ses filles poussent, de toutes leurs forces.»
« CARNET D’EUROPE CENTRALE, BUDAPEST », in ENTRE RHIN ET DANUBE, Éditions Nicolas Chaudun, ?, 2011

Lettres du voyageur, Éditions du Rocher, Paris, 1988
« Lettre à Irène Lagut (1920) »
« Des nymphes du Danube, en réalité elles sont blondes, cuites au soleil, avec des cils blonds et elles vous nomment affectueusement « petit oncle ; tant il est vrai qu’il faut voyager. »
Flèche d’Orient, Éditions Gallimard, Paris, 1932
Journal inutile, Éditions Gallimard, Paris, 2002
Paul Morand raconte en particulier dans ce livre son dernier voyage sur le Danube à Passau en septembre 1975.
Ouvert la nuit, Éditions Gallimard, Paris, 1923

Paul Morand

PIERRE, Bernard (1920)
Le Roman du Danube, Éditions Plon, Paris, 1987
Historien, géographe, économiste, explorateur alpin, Bernard Pierre est un spécialiste des grands fleuves (Nil, Mississipi, Loire…) qu’il assimile à des êtres vivants. Il raconte cette fois l’histoire du Danube et celles des hommes le long du cours du fleuve. Bernard Pierre a dirigé d’importantes expéditions dans l’Himalaya et la cordillère des Andes ainsi qu’en Afrique.

PITISTEANO, Alexandre-George
La question du Danube, « Droit fluvial chez les Romains »,Librairie de jurisprudence ancienne et moderne Édouard Duchemin, Paris, 1914

RADIČKOV, Jordan (1924-2004)
L’herbe folle et autres nouvelles, Éditions Est/Ouest, Paris, 1994
Un grand conteur, romancier, nouvelliste et dramaturge bulgare du XXe siècle, né à Kalimanista dans le Nord-Est de la Bulgarie, village aujourd’hui englouti dans les eaux du lac-réservoir Ogosta. Il est parfois comparé à Gabriel Garcia-Marquez ou à Franz Kafka
Voir le très bel article de Marie Vrinat-Nikolov consacré à cet écrivain : http://liternet.bg/publish1/mvrinat/radichkov_fr.htm

RAIMBAUD, Patrick (1946)
La Bataille, Éditions Grasset, Paris, 1997
La Bataille est également éditée depuis 2012 sous forme de bande dessinée (trois albums, parus en mars 2012, mars 2013 et mars 2014. Un magnifique travail de reconstitution de la grande bataille d’Essling entre les troupes napoléoniennes et autrichiennes sur les bords du Danube, dans les environs de Vienne.

RECLUS, Élysée, Jacques (1830-1905)
Nouvelle Géographie Universelle, La terre et les hommes, Livre III, L’Europe centrale, Librairie Hachette et Cie, 1884
Quelques textes magnifiques consacrés au Danube.

REICHA, Antoine (1770-1836)
Écrits inédits et oubliés Autobiographie, articles et premiers écrits théoriques, édités par Hervé Audéon, Albant Ramaut, Herbert Schneider, Musikwissenschaftliche Publikationen, édition bilingue français/allemand, Éditions Georg Olms Verlag AG, Hildesheim, 2011

« Après mon séjour dans la vallée de Montmorenci je me préparais à faire un voyage à Vienne. J’ai quitté la France après y avoir séjourné 3 ans. Je m’embarque à Ulm avec 60 passagers à peu près, sur le Danube, pour arriver plus vite et plus commodément à Vienne : nous restâmes 17 jours sur ce malheureux fleuve, à cause des eaux basses et des jours cour[t]s de l’automne, car il est impossible de naviguer sur ce fleuve dangereux pendant la nuit. Les pays que le Danube parcourt sont admirables, je n’ai rien vu plus pittoresque. Enfin me voilà arrivé à Vienne… »
Autobiographie d’Antoine Reicha, compositeur, musicien et théoricien d’origine pragoise, contemporain de Beethoven, qui fut professeur au conservatoire de Paris et eût pour élèves Berlioz, Gounod, Franck… Il partait alors en séjour à Vienne « avec le désir de faire de nouveaux progrès dans son art et de profiter encore des conseils de Joseph Haydn… ».

REICHARD, Henri-Auguste-Ottocare (1751-1828)
Le voyageur en Allemagne et en Suisse…, Manuel à l’usage de tout le monde. Douzième édition, De nouveau rectifiée, corrigée, et complétée par F. A. Herbig., tome premier., A Berlin, Chez Fréd. Aug. Herbig, Libraire. A Paris chez Brockhaus et Avenarius et chez Renouard et Co., 1844.
M. Reichard fut conseiller de guerre du duc de Saxe-Gotha.

RENAU, Jean-Pierre
Marius Michel Pacha, 1819-1907,  Le bâtisseur, L’Harmattan, Paris, 2006
Le destin exceptionnel de Marius Michel Pacha dans l’Empire ottoman

RITTER, Jean 
Le Danube, collection Que sais-je, Éditions des Presses Universitaires de France, Paris, 1976

ROYER, Louis-Charles (1885-1970)
Domnica fille du Danube, Éditions de Paris, Paris, 1937

SORESCU, Marin (1936-1996)
Paysans du Danube (en roumain La Lilieci, Les Lilas), traduit et préfacé par Jean-Louis Courriol, Éditions Jacqueline Chambon, ?, 2006
Marin Sorescu, un des plus grands écrivains roumains « prête ici sa voix et son humour plein de tendresse aux paysans du Danube avec lesquels il a été élevé. Il fait sien leur parler séculaire pour l’arracher à l’oubli. Sauvant leur langue, il sauve leur mémoire, leurs rites, leurs superstitions, leur modeste fierté et leur malice pince-sans-rire. » Un hommage affectueux à ces populations rurales roumaines qui subirent la sinistre et mégalomane entreprise de destruction du dictateur Nicolae Ceaucescu. Marin Sorescu subit lui-même la censure de la dictature mais réussit à publier quelques-uns de ses textes drôles et merveilleux.

STASIUK, ANDRZEJ (1960)
Fado, Éditions Christian Bourgois, Paris, 2009
Sur la route de Babadag, Éditions Christian Bourgeois, Paris, 2007
« Un jour j’étais dans le delta du Danube. C’est vraiment le bout du monde, la nature y règne en maître, l’été, l’endroit fait penser à une Afrique européenne, des tropiques marécageux où tout est fait d’argile et de roseau, tout est archaïque, des pélicans planent dans les airs et des silures centenaires gros comme des requins se tapissent dans la vase. Il n’y a pas de routes. On arrive partout en barque. Un été, le sort ironique m’a jeté dans un hôtel construit au milieu des marais. Le canot accoste et, dans cette région antédiluvienne, voici qu’apparaît une hôtesse en minijupe et talons hauts. Ses talons s’enfoncent dans la boue, mais elle vient résolument à la rencontre des clients. elle porte devant elle un plateau chargé d’alcool pour nous souhaiter la bienvenue. Les mignons petits verres contiennent de la tzuika, de la vulgaire geôle de prunes qu’un paysan sur deux distille dans sa ferme. Mais une olive verte flotte dans chaque verre. »
« La Roumanie » in Fado

STIFTER, Adalbert (1805-1868)
L’arrière-saison, récit, Gallimard, Paris, 2000
Écrivain, pédagogue poète réaliste et peintre autrichien né en 1805 à Oberplan (Horní Plana, Bohême méridionale), grand admirateur de Goethe et figure de proue du Biedermeier.
Son père se tue accidentellement en 1817. Traumatisé A. Stifter tente d’abord de se laisser mourir de faim puis il entreprend l’année suivante, des études à l’abbaye bénédictine de Kremsmünster. Il est admis en 1826, à l’Université de Vienne, (droit), s’éprend de Fanny Greipl, fille d’un commerçant de la bourgeoisie viennoise. Dans ses lettres à Fanny, Stifter se déprécie lui-même comme amant. Son refus de participer à un concours pour obtenir une chaire de physique à l’université de Prague déconcertent les parents de la jeune fille, qui le perçoivent alors comme un homme sans ambition ni avenir. En 1832 a lieu la rencontre avec Amalia Mohaupt, une ancienne prostituée, qui devient sa femme en 1837. Sans descendance, le couple adopte plus tard les enfants d’un frère d’Amalia. Une fille adoptée se suicidera en se jetant dans le Danube. Après cet accident tragique, Stifter s’enfonce dans une grave dépression.
Jusqu’en 1840, l’écrivain hésitera à choisir entre ces deux vocations : la peinture et la littérature. La parution de sa première nouvelle Der Kondor (Le condor) reçoit un accueil très enthousiaste et le rend célèbre. Pendant huit ans, il pourra subvenir à ses besoins grâce à ses livres et des leçons particulières. Stifter est nommé Inspecteur des écoles primaires de Haute-Autriche en 1850. Il prend sa retraite en 1865 et gravement malade met fin à son existence en se tranchant la gorge trois ans plus tard.

Adalbert Stifter

STRABON (env. 63 av. J.-C.-env. 23 ap. J.-C.)
Géographie universelle
Strabon, historien et géographe d’origine grecque et installé à Rome, est né vers 64 avant Jésus-Christ en Cappadoce à Amasée (aujourd’hui Amasya en Turquie) et meurt entre 21 et 25 après Jésus-Christ. Il écrivit en grec une Histoire de Rome, aujourd’hui perdue, qui continuait celle de Polybe, et une Géographie universelle en 17 livres. Nous citons ici un court extrait du Livre VII dans lequel l’auteur parle du Danube (Ister).

« 1. Après avoir décrit l’Ibérie, la Celtique, l’Italie et les îles qui les avoisinent, nous avons à parler présentement du reste de l’Europe ; or, fixons au préalable la division la plus conforme à la nature des lieux. Le reste de l’Europe comprend, d’une part, tout ce qui se prolonge vers l’E. au delà du Rhin jusqu’au Tanaïs et à l’ouverture du lac Maeotis, et, d’autre part, tout ce qui s’étend au S. de l’Ister, entre l’Adriatique et la rive gauche du Pont, jusqu’à la Grèce et à la Propontide. Il est de fait que le cours de l’Ister se trouve couper en deux et à peu près dans toute sa longueur la contrée dont nous parlons : ce fleuve, qui est le plus grand d’Europe, après avoir coulé d’abord au midi, tourne brusquement de 1’0. à l’E., dans la direction du Pont ; il prend sa source à la pointe ou extrémité occidentale de la Germanie, assez près même du fond de l’Adriatique, puisqu’il n’en est guère qu’à 1000 stades, et, après s’être relevé quelque peu vers le nord, vient finir dans le Pont-Euxin, non loin des bouches du Tyras et du Borysthène : il forme donc, on le voit, la limite méridionale des pays situés au delà du Rhin et de la Celtique, c’est-à-dire des populations galatiques et germaniques qui s’étendent jusqu’aux Bastarnes, aux Tyrégètes et au fleuve Borysthène, et de ces autres populations qui vont du Borysthène au Tamaïs et à l’embouchure du Palus Maeotis, remplissant tout l’intervalle de la mer Pontique à l’Océan, en même temps qu’il sert de limite septentrionale aux populations Illyriennes et Thraces, qui, avec un certain nombre de tribus étrangères, celtiques et autres, occupent tout le pays jusqu’à la Grèce.
Mais parlons d’abord de la région située au delà de l’Ister, car la description n’en est pas à beaucoup près aussi compliquée que celle de la région citérieure… »
Strabon, Géographie universelle, VII, 1 – La Germanie, traduction française d’Amédée Tardieu, Éditions Hachette, Paris, 1867

« La rivière Marisus1, qui traverse tout leur pays, vient se jeter dans le Danube ; et, par cette dernière voie, les Romains avaient toute facilité pour approvisionner leurs armées en cas de guerre. Les Romains, en effet, appellent Danube toute la partie haute du fleuve comprise entre la source et les cataractes, la même justement qui coule chez les Daces, réservant le nom d’Ister uniquement à la partie inférieure, laquelle s’étend jusqu’au Pont, et se trouve border le territoire des Gètes. Les Daces parlent absolument la même langue que les Gètes. Que si, maintenant, nous autres Grecs nous connaissons mieux les Gètes, la cause en est que ceux-ci ont perpétuellement changé de demeure et passé d’une rive à l’autre, se mêlant ainsi aux peuples de la Thrace proprement dite, et notamment aux Moesiens. Il est arrivé de même aux Triballes, autre peuple de la Thrace, de recevoir souvent au milieu d’eux des bandes [de Gètes] émigrants, chassés de leurs demeures par des voisins plus puissants, soit par les Scythes, les Bastarnes et les Sauromates de la rive ultérieure, qui, non contents de les avoir expulsés, franchissaient le fleuve après eux et ont laissé ainsi différents établissements dans les îles de l’Ister et dans la Thrace, soit par les Illyriens, les plus redoutables ennemis qu’ils eussent de ce côté-ci du fleuve. – La nation des Daces et des Gètes, qui avait accru sa puissance un moment jusqu’à pouvoir envoyer au dehors des armées de 200 000 hommes, se trouve donc réduite aujourd’hui à une force de 49 000 guerriers tout au plus, et elle paraît être sur le point d’accepter le joug des Romains ; si même elle n’a pas fait encore sa soumission pleine et entière, c’est qu’elle fonde un dernier espoir sur les Germains et sur la haine que ceux-ci portent aux Romains. [Entre les Gètes] et la partie de la côte du Pont qui va de l’Ister au Tyras on voit s’étendre ce qu’on appelle le Désert des Gètes, immense plaine sans eau où, lors de son expédition contre les Scythes, Darius, fils d’Hystaspe, eut l’imprudence de s’engager après avoir franchi l’Ister et où il serait mort de soif avec toute son armée, s’il n’eût fini par reconnaître sa faute et par rétrograder. Plus tard, en voulant attaquer les Gètes et leur roi Dromichaetès, Lysimaque y courut les mêmes dangers et eut le malheur, qui plus est, de tomber vivant au pouvoir de l’ennemi ; mais on a vu par ce que j’ai dit plus haut, que, grâce à la modération extraordinaire du roi barbare, il n’avait pas tardé à recouvrer sa liberté. »

1 Le Mureş, sous-affluent roumano-hongrois du Danube se jette dans la Tisza à hauteur de la ville de Szeged (Hongrie).

SZEKELY, Jànos (1901-1958)
L’enfant du Danube, Éditions France Loisirs, Paris, 2001

SZABOS, Miklos (1940)
« Sur les traces des celtes en Hongrie. » In : Revue archéologique du Centre de la France. Tome 12, fascicule 1-2, 1973

TAPIE, Victor-Louis (1900-1974)
Monarchie et peuples du Danube, collection L’histoire sans frontières, Éditions Fayard, Paris, 1969

TIŠMA, Alexandre (1924-2003)
Le livre de Blam, Éditions Juillard/L’âge d’homme
« Les 21, 22, 23 janvier 1942, à Novi Sad, 1 400 juifs et Serbes ont été fusillés sur le Danube par l’armée d’occupation hongroise. »

TREICHLER, Hans Peter (1941), STÄRK, Georg
Le Danube, Éditions Mondo, Lausanne, 1983

TUMLER Franz (1912-1998)
Propositions sur le Danube, (Sätze von der Donau), Zürich 1965
« Il n’est pas facile d’écrire sur le Danube, parce que le fleuve s’écoule sans cesse et sans repères, sourd aux propos et au langage qui articule et découpe l’unité du vécu. »

VANTROYS, Carole
Le goût de Budapest, Mercure de France, Paris, 2005

VERCORS (JEAN BRULLER, 1902-1991)
La marche à l’étoile, précédé du Silence de la mer, Éditions Albin Michel, Paris 1951

VERNE, Jules (1828-1905)
Le Pilote du Danube, collection 10/18, Union Générale Éditions, Paris, 1979

VERNE, Jules
Le Danube Jaune, Éditions Gallimard, collection Folio, Paris, 2002

VERNE, Jules
Kéraban-le-têtu, 1882, Éditions du groupe « Ebooks libres et gratuits »
« Le soir, vers cinq heures, on s’arrêtait à Toultcha, l’une des plus importantes villes de la Moldavie. En cette cité de trente à quarante mille âmes, où se confondent Tcherkesses, Nogaïs, Persans, Kurdes, Bulgares, Roumains, Grecs, Arméniens, Turcs et Juifs, le seigneur Kéraban ne pouvait être embarrassé pour trouver un hôtel à peu près confortable. C’est ce qui fut fait. Van Mitten eut, avec la permission de son compagnon, le temps de visiter Toultcha, dont l’amphithéâtre, très pittoresque, se déploie sur le versant nord d’une petite chaîne, au fond d’un golfe formé par un élargissement du fleuve, presque en face de la double ville d’Ismaïl. Le lendemain, 24 août, la chaise traversait le Danube, devant Toultcha, et s’aventurait à travers le delta du fleuve, formé par deux grandes branches. La première, celle que suivent les bateaux à vapeur est dite la branche de Toultcha ; la seconde, plus au nord, passe à Ismaïl, puis à Kilia, et atteint au-dessous la mer Noire, après s’être ramifiée en cinq chenaux. C’est ce qu’on appelle les bouches du Danube. Au delà de Kilia et de la frontière, se développe la Bessarabie,qui, pendant une quinzaine de lieues, se jette vers le nord-est, et emprunte un morceau du littoral de la mer Noire.
Il va sans dire que l’origine du nom du Danube, qui a donné lieu à nombre de contestations scientifiques, amena une discussion purement géographique entre le seigneur Kéraban et Van Mitten. Que les Grecs, au temps d’Hésiode, l’aient connu sous le nom d’Istor ou Histor ; que le nom de Danuvius ait été importé par les armées romaines, et que César, le premier, l’ait fait connaître sous ce nom ; que dans la langue des Thraces, il signifie « nuageux » ; qu’il vienne du celtique, du sanscrit, du zend ou du grec ; que le professeur Bupp ait raison, ou que le professeur Windishmann n’ait pas tort, lorsqu’ils disputent sur cette origine, ce fut le seigneur Kéraban qui, comme toujours, réduisit finalement son adversaire au silence, en faisant venir le mot Danube, du mot zend « asdanu », qui signifie : la rivière rapide.
Mais, si rapide qu’elle soit, son cours ne suffit pas à entraîner la masse de ses eaux, en les contenant dans les divers lits qu’elle s’est creusés, et il faut compter avec les inondations du grand fleuve. Or, par entêtement, le seigneur Kéraban ne compta pas, en dépit des observations qui lui furent faites, et il lança sa chaise à travers le vaste delta. Il n’était pas seul, dans cette solitude, en ce sens que nombre de canards, d’oies sauvages, d’ibis, de hérons, de cygnes, de pélicans, semblaient lui faire cortège. Mais, il oubliait que, si la nature a fait de ces oiseaux aquatiques des échassiers ou des palmipèdes, c’est qu’il faut des palmes ou des échasses pour fréquenter cette région trop souvent submergée, à l’époque des grandes crues, après la saison pluvieuse. Or, les chevaux de la chaise étaient insuffisamment conformés, on en conviendra, pour fouler du pied ces terrains détrempés par les dernières inondations. Au delà de cette branche du Danube, qui va se jeter dans la mer Noire à Sulina, ce n’était plus qu’un vaste marécage au travers duquel se dessinait une route à peu près impraticable. Malgré les conseils des postillons, auxquels se joignit Van Mitten, le seigneur Kéraban donna l’ordre de pousser plus avant, et il fallut bien lui obéir. Il arriva donc ceci : c’est que, vers le soir, la chaise fut bien et dûment embourbée, sans qu’il fût possible aux chevaux de la tirer de là. « Les routes ne sont pas suffisamment entretenues dans cette contrée ! crut devoir faire observer Van Mitten. – Elles sont ce qu’elles sont ! répondit Kéraban. Elles sont ce qu’elles peuvent être sous un pareil gouvernement !
– Nous ferions peut-être mieux de revenir en arrière et de prendre un autre chemin ?
– Nous ferons mieux, au contraire, de continuer à marcher en avant et de ne rien changer à notre itinéraire !
– Mais le moyen ?…
– Le moyen, répondit le têtu personnage, consiste à envoyer chercher des chevaux du renfort au village le plus voisin. Que nous couchions dans notre voiture ou dans une auberge, peu importe ! »
Il n’y avait rien à répliquer… »
Jules Verne, Kéraban-le-têtu

VIAL, Michel 
Le beau Danube noir, Éditions Ditis, Paris, 1961

VILLIERS de, Gérard (1929-2013)
Le Danube rouge, Éditions GDV SAS n° 196, 2013

VLADOMAN, Radan
Le sourire de l’accordéoniste, Éditions de la Table ronde, Paris, 1993

WAJBROD, Cécile (1954)
Europe centrale, un continent imaginaire, en collaboration avec Sébastien Reichmann, Éditions Autrement, Paris, 1991

WALTERS, George (1921-?)
Les pleurs de Babel ou le siècle d’Erna, Éditions Phoebus, Paris, 1993
« Écrivain, journaliste et parolier français d’origine hongroise, né à Budapest en 1921.
Dans la chambre où elle finit ses jours non loin de Paris, Erna se souvient, en silence. Son fils aussi se souvient et s’interroge, décryptant les confidences de celle qui fut, au long d’un siècle de vie ou presque, la gardienne d’un secret autour duquel l’histoire familiale et l’Histoire majuscule ont noué inextricablement leur écheveau. Pourquoi au printemps de 1914, sur les bords du Danube, la touchante Ilona, soeur aînée d’Erna, est-elle morte dans la fleur de ses seize ans – d’amour peut-être ? Et pourquoi la vieille dame, en cette fin de 1989 qui voit la chute du mur de Berlin, charge-t-elle son fils de cette mission qu’il se refuse à prendre pour le fruit d’une lubie : rendre visite au prince Otto de Habsbourg, et lui toucher la main ? Troublé par les liens qu’il établit peu à peu entre ces deux énigmes jumelles, le narrateur, à présent dépositaire du secret d’Erna, va s’employer à en éclairer la part d’ombre. Son enquête le condamne à parcourir les allées de cette Mitteleuropa ruinée par la folie des hommes et à s’attarder, ramasseur des causes perdues, auprès de ceux qui, hier, osèrent rêver d’un monde où les seules convulsions possibles seraient celles de la Beauté. Tenu de poursuivre ses fantômes, il devra, sur la piste de l’amoureux d’Ilona – le cavalier sans nom -, remonter du Finistère au Danube, passer par Sarajevo et Vienne, Budapest et Montparnasse, frôler les silhouettes du Dr Freud et d’André Breton, traverser deux guerres mondiales qui n’en font qu’une. Tapie derrière la porte, l’Histoire distribue aux anonymes les épreuves, elle organise leurs métamorphoses : le caporal Mathias Landor en horloger de la cour, Sigismond le Linguiste en agent secret de feu l’empereur, l’oncle Joseph, sous l’occupation allemande, en chevalier Dupin. Mais pour que le messager puisse toucher la main du prince, il faut en finir encore avec quelques mauvais rêves – qui persistent à brouiller la chanson insistante d’un passé mal oublié. »

WEBER, Franz (1927)
Le paradis perdu, Pierre Marcel Favre, Lausanne, 2006
Franz Weber, journaliste écologiste suisse, raconte l’histoire du sauvetage des magnifiques forêts alluviales danubiennes de Hainburg en Basse-Autriche, en aval de Vienne, dans les années 1980. Le projet de la DoKW (Donaukraftwerke SA, la Société des centrales hydroélectriques du Danube), soutenu par le gouvernement socialiste autrichien du Chancelier Sinowatz, la confédération des syndicats et de nombreux acteurs du monde économique et financé en grande partie par les banques suisses, de construire un barrage et une centrale hydroélectrique à la hauteur de la petite ville de Hainburg, menaçait l’écosystème de la plus grande des forêts alluviales en Europe. L’engagement de Franz Weber, du WWF, d’associations et de personnalités éclairées et courageuses parmi lesquelles le professeur Gustav Wendelberger de l’Université de Vienne, a permis de faire échouer la construction du barrage et de préserver cet espace naturel unique.
« L’Au, Monsieur Weber, est un écosystème qui fonctionne parfaitement, une gigantesque et géniale installation de filtrage au pouvoir nettoyant inimaginable pour l’eau comme pour l’air. Jamais la main de l’homme ne pourra créée une telle perfection. Elle ne sait que le détruire. »

WHITE, Kenneth (1936)
Un monde à part, Cartes et territoires, Éditions Héros-Limite, feuilles d’herbe, géographie(s), Genève, 2018

YOURCENAR, Marguerite (1903-1987)
Mémoires d’Hadrien, Éditions Gallimard, collection Folio, Paris, 1977
« Ce pays situé entre les bouches du Danube, triangle dont j’ai parcouru au moins deux côtés, compte parmi les régions les plus surprenantes du monde, du moins pour nous, hommes nés sur les rivages de la Mer Intérieure, habitués aux paysages purs et secs du sud, aux collines et aux péninsules… Mon émerveillement ne cessait pas en présence du miracle des fleuves : cette vaste terre n’était pour eux qu’une pente et qu’un lit. »
« Nos rivières sont brèves ; on ne s’y sent jamais loin des sources. Mais l’énorme coulée qui s’achevait ici en confus estuaires charriait les boues d’un continent inconnu… »
Le soir de mon arrivée au camp, le Danube était une immense route de glace rouge, puis de glace bleue, sillonnée par le travail intérieur des courants de traces aussi profondes que celles des chars. Nous nous protégions du froid par des fourrures… Aux choses les plus banales, les plus molles, le gel donnait une transparence en même temps qu’une dureté céleste. Tout roseau brisé devenait une flûte de cristal.»
Marguerite Yourcenar

ZEILLER, Jean (1878-1962)
Les origines chrétiennes des provinces danubiennes de l’Empire romain, Éditions ?, Paris, 1918

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, mise à jour avril 2023

Retour en haut de page