Qu’est-ce qu’un fleuve ?

   De qui et de quoi parle-t-on quand on mentionne le nom de « fleuve » ? Pour les  géographes, il s’agit tout simplement d’un cours d’eau qui prend sa ou ses sources quelque part sur notre belle planète et qui a le privilège, après de plus ou moins nombreuses péripéties en tous genres, de se jeter dans la mer ou dans un océan par l’intermédiaire d’un delta ou d’un estuaire. Pas d’autres alternatives ? Quelques très rares fleuves n’atteignent pas la mer.  Selon certaines mythologies, il existerait bel et bien des fleuves célestes qui opéreraient dans l’azur selon un mode similaire !

Mais revenons-en à la sphère géographique et reportons-nous à la définition qu’on trouve à la rubrique « Fleuve » dans un ouvrage de référence en langue française, le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, publié sous la direction de Jacques Lévy et Michel Lussault aux Éditions Belin (2013), un ouvrage collectif ouvert aux approches étrangères de cette science qui se veut universelle.

Fleuve, River, Fluss

1. Cours d’eau se jetant dans la mer
2. Unité hydrographique de grande taille (longueur, largeur) et de fort débit.

Sur la « planète bleue » et dans le cycle de l’eau, les fleuves tiennent une place accessoire pour les volumes instantanés écoulés, mais jouent un rôle essentiel, tout comme l’atmosphère, par leur dynamique de constant renouvellement, fondamentalement différente des postes statiques que sont les océans, les glaces et les nappes souterraines.


Les fleuves sont d’abord des structures linéaires et ramifiés, repères essentiels avec le relief pour servir à l’établissement des premiers documents géographiques. Ils ont une histoire plus ou moins longue. la découverte des réseaux fluviatiles est jalonnée d’exploits romancés, mais aussi révélatrice d’enjeux politiques majeurs. Les recherches des sources du Nil (Stanley Livingstone), l’exploration du Mississippi et du Missouri, du Niger, du Congo et de l’Amazone… sont intimement liées à la prise de possession, réelle ou symbolique par l’Europe, des cinq continents.

Abraham Ortelius (1527-1598), carte du voyage des Argonautes, « Theatrum Orbis Terrarum », 1603

Les fleuves sont ensuite devenus des objets des sciences de l’ingénieur. Les annuaires hydrologiques rassemblent des données de plus en plus sophistiquées sur les hauteurs d’eau, les débits exprimés en m3/s, les étiages et les crues dont les fréquences décennales, centenaires ou millénaires, sont l’objet d’estimation de plus en plus fines.
Les fleuves géants ont des débits supérieurs à 10 000 m3/s et des longueurs de plusieurs milliers de kilomètres. Le géant des géants est l’Amazone avec près de 200 000 m3/s à son embouchure. Des fleuves de plus faible débit, comme le Nil, 2 000 m3/s en tête de son delta, ou le Rhin, le Rhône ou le Danube… ont joué cependant des rôles essentiels sur le plan culturel. Les termes de forêt rhénane, mais aussi de capitalisme rhénan, de civilisation danubienne du Néolithique1, de sillon rhodanien… matérialisent ce rôle d’axe géohistorique.
Les fleuves sont des infrastructures de transports, notamment pour les pondéreux2 et une source d’énergie. Ils ont été utilisés pour fixer les emplacements de villes à leurs confluences, dans leurs estuaires, sur des sites de premiers ponts, de rupture de charge, à des intersections avec les voies terrestres…

Ruine d’une pile du pont romain de Trajan sur la rive méridionale du Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

Les fleuves ont été sur la longue durée des lieux de conflits, qu’ils soient dans l’axe ou aux frontières des constructions politiques. Ils seront sans doute au coeur des « guerres de l’eau » annoncées pour le XXIe siècle.
Barrés, endigués, corsetés, les fleuves fournissent de moins en moins de matériaux solides à l’océan, entraînant avec d’autres causes, un démaigrissement généralisé et une érosion accélérée des plages sableuses. Depuis des millénaires, ils sont l’objet d’aménagements : rectification du cours, renforcement des berges, édification de barrages  temporaires ou permanents, canalisation, installation d’écluses, de centrales hydroélectriques, prélèvement de l’eau dans leur cours ou leur nappe phréatique et extraction d’énormes volumes de matériaux sableux ou graveleux dans les ballastières3 du lit majeur ou des terrasses.

Le bac Silistra-Călărași sur le bas-Danube, photo © Danube-culture, droits réservés

L’étude physique des fleuves est l’objet d’une science progressivement affirmée au sein de l’hydrologie : la potamologie. Les fleuves sont des objets hydro-géomorphologiques de forte importance : l’étude analytique de leurs lits mineurs, majeurs, de leurs berges, des terrasses qui les encadrent, étagées ou emboîtées, des matériaux qu’ils transportent en solution, en suspension ou par roulage sur le fond, a été un temps occultée par leur vision comme élément moteur d’une théorie synthétique de l’évolution du relief, dite du cycle d’érosion.

Ripisylves, forêts alluviales, transports de bois mort et de sédiments, des constantes danubiennes… Photo © Danube-culture, droits réservés

Formulée par le géomorphologue américain W. M. Davis, elle est appuyée sur les courbes de leur profil en long, dit aussi d’équilibre. De nouvelles thématiques émergent sur la gestion des sédiments et la place du bois mort dans les cours d’eau. La destruction des digues, comme sur les littoraux, n’est plus un tabou. La recréation d’espaces dit de liberté pour permettre l’étalement des crues et reconstituer des ripisylves4 se généralise. En Europe, la Directive cadre sur l’eau5 a stimulé les recherches visant à une gestion de l’eau intégrée dans les territoires. Éléments essentiels des trames vertes et bleues, ils permettent la circulation de la flore et de la faune mais aussi des pratiques de loisir sur leurs eaux (croisières) et sur leurs berges (randonnées pédestres et cyclistes).
PAr.

La piste cyclable Eurovélo 6, ici au point kilométrique 2123, traverse toute l’Autriche en longeant le Danube depuis la frontière allemande jusqu’à la frontière slovaque, photo © Danube-culture, droits réservés

Sources :
Jacques Lévy, Michel Lussault (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Nouvelle édition revue et augmentée, Belin, Paris, 2013, pp. 397-398

Notes :
1 Cette civilisation danubienne du Néolithique représente l’aube de la civilisation européenne : « Dans la seconde partie du VIe millénaire avant notre ère, le Rubané, première grande culture néolithique de l’Europe continentale, investit un immense territoire qui s’étend de l’Ukraine à la plaine de Caen. Poussé par un zèle conquérant et une soif d’expansion hors du commun, il y implante une nouvelle civilisation, le Néolithique danubien, qui jouera un rôle central dans la préhistoire récente de notre continent. » Christian Jeunesse, Le Rubané et le Néolithique danubien. L’aube de la civilisation européenne, Dossiers d’Archéologie n° 353 (septembre-octobre 2012), pages 50-55.
Parmi les plus anciennes civilisations danubiennes du Néolithique, on compte celle précoce de Starčevo et la culture de Vinča (Néolithique moyen).
2 Matériau dense, justiciable de transport de masse à vitesse commerciale assez faible (par exemple les minerais, le charbon
3 Carrière à ciel ouvert dont on a extrait du ballast. Sources : https://www.aquaportail.com/definition-3523-ballastiere.html
4 Ensemble des formations boisées comme les arbres, les arbustes, les buissons qui se trouvent aux abords d’un cours d’eau.
https://ec.europa.eu/environment/pubs/pdf/factsheets/wfd/fr.pdf

Adoptée dès 2000 par l’UE, la directive-cadre sur l’eau (DCE) prévoyait une échéance à l’année 2015 pour que toutes les eaux européennes atteignent un bon état… On en est encore évidemment très loin pour certains pays, en particulier la  France.

Persenbeug (Basse-Autriche), photo © Danube-culture, droits réservés

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