Adamclisi et le trophée de l’empereur Trajan

   On ne peut, lorsqu’on quitte la rive droite du Danube et qu’on traverse la fascinante Dobrogée roumaine, faire l’impasse sur une visite à Adamclisi, un lieu hautement symbolique non seulement de la domination de l’Empire romain sur cette région très lointaine des terres d’Italie mais aussi des guerres difficiles contre les tributs et populations locales, particulier les Daces mais aussi les Sarmates, les Roxolans, les Bures… que dut mener Rome pour conquérir ces rudes territoires des confins de la mer Noire. Comme Axiopolis, Capidava (citadelle sur le méandre de la rivière en langue dace), Troesmis, Noviodunum, Aegissus ou encore Histria surnommée la « Pompei romaine », Argamum, Tomis (aujourd’hui Constanţa, lieu d’exil du poète Ovide, Callatis (aujourd’hui Mangalia), chaque site archéologique évoque le souvenir des liens de ces régions avec la civilisation greco-romaine.
Adamclisi est aussi un puissant symbole de la latinité du peuple roumain.      

On découvre au nord de la commune d’Adamclisi (70 km au sud-ouest de Constanţa, préfecture du judets de Dobrogée), dominant un paysage de coteaux en terrasse, le site du Tropaeum Traiani, une réplique de l’antique construction élevée après la victoire des troupes romaines emmenées par l’empereur Trajan au début du IIe siècle après J.-C.

Détail du trophée de Trajan, photo Alstyle — Travail personnel, CC BY-SA 3.0 ro, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16778534

Les fouilles sur les lieux ne commencent qu’au XIXe siècle à la suite de la découverte par les Ottomans des ruines d’un monument en pierre qui s’apparentait à une église d’où le nom qu’ils donnent au lieu Adamclisi (adam = homme, Kilisse = église). Le trophée de Trajan, construit entre 106 et 109 à la demande de l’empereur, dédié à Mars, dieu de la guerre et qui commémore sa victoire en 101 sur un de ses plus farouche adversaires, le roi dace Décébale (?-106) que les Roumains ont placé au panthéon de leur histoire et de leur mythologie populaire et sur les Sarmates, ne subsistait alors qu’à l’état de ruines, une partie des pierres ayant été subtilisée par les populations locales pour divers bâtiments.

Décébale (?-106)

Le trophée fait d’abord l’objet d’une reconstitution en 1977 par le régime communiste. Rénové ultérieurement, mesurant à la base 31 m de diamètre et 40 m de hauteur, il est coiffé d’un toit conique recouvert de tuiles en écailles, à l’origine des dalles de pierre imbriquées. Les socles hexagonaux, placés au sommet du tronc de cône portaient sur deux faces, dans la partie supérieure, une inscription dédicatoire à Mars Ultor (Mars le dieu vengeur)1. La base cylindrique est décorée de 54 métopes2 (dont 49 originaux se trouvent au musée d’Adamclisi), en calcaire de Deleni qui glorifient la victoire romaine et la soumission des tributs daces vaincues. L’empereur y est notamment représenté accompagné d’un officier tout comme la scène  d’un combat entre un soldat romain et un « barbare » dace, deux prisonniers daces amenés à Trajan, trois joueurs de trompette, deux porte-enseigne ou encore une famille indigène.

  L’empereur Trajan avec un de ses lieutenants, photo Cristian Chirita, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4474017 

Le musée romain, dans le village rassemble les 48 panneaux sculptés originaux (sur 54) ou métopes et un certain nombre d’objets afférents à la présence romaine dans ces lieux de la Dobrogée.  À proximité du trophée se trouve l’admirable site romano-byzantin, le Municipium tropaeum Trajani, fondé à la même époque, au IIe siècle après J.-C. Ce site prend rapidement de l’ampleur du fait de sa situation sur la voie nord-sud de la Dobrogée. Démoli au IIIe siècle, reconstruit à la fin de ce siècle et au début du IVe, il est abandonné et détruit par les Avares au VIe siècle. Il émane une atmosphère étonnement émouvante en visitant ces lieux lorsque l’on franchit les anciennes portes de l’enceinte fortifiée comme si l’on remontait au IIe siècle ap. J.-C. et en marchant sur l’artère principale, au milieu de laquelle se trouve un caniveau et qui était bordée à l’époque romaine bordée de nombreux portiques et arcades.

    L’excellent Guide Bleu « Roumanie » (édition de 1966) en donne une description assez détaillée : « La porte Est, par laquelle on pénètre dans l’enceinte fortifiée, était flanquée de deux tours dont il subsiste des soubassements. Une grande porte à deux battants fermait l’entrée ; elle était maintenue par une grosse barre métallique coulissant dans un logement que l’on voit encore dans le massif de droite. Dans l’axe de la porte s’ouvre la grande artère principale, creusée d’un caniveau central qui à l’époque était couvert. Des portiques et d’arcades bordaient la chaussée. À droite de la rue (10 m env.) apparaissent les soubassements d’une basilique chrétienne du IVe siècle de notre ère, composée de trois nefs à abside et d’un narthex3. — À gauche de la rue, les ruines d’une basilique chrétienne byzantine, en forme de croix, également à trois nefs avec un narthex et peut-être un exonarthex. La crypte est bien conservée (fin du Ve, début du Ve).
Plus loin on franchit une rue transversale pour atteindre, à gauche, les ruines de la basilique de Forensis qui semble avoir été imposante à en juger par la taille des dix-huit bases de colonnes qui séparent l’édifice en trois nefs. Cet édifice, construit au IIIe s. et rebâti sous Constantin le Grand (280-337 ap. J.-C.), servait de lieu pour des réunions publiques.
En continuant à descendre la rue principale, on trouve à gauche encore une autre basilique du IVe, complétée au VIe, par l’adjonction d’une crypte. On arrive à la porte Ouest où les murs d’enceinte sont mieux conservés qu’à la porte Est. En se dirigeant ensuite par le Nord, on rejoint la basilique marmoréenne,  la basilique chrétienne de l’évêché dont on voit le baptistère à droite de l’entrée. L’édifice remonte aux Ve et VIe siècle et forme aussi un plan à trois nefs avec absides. — À proximité se dresse une tour où l’on entreposait des vivres.
Il est tout à fait possible de suivre le mur d’enceinte sur tout son pourtour où plusieurs restes de tours de défense en plus ou moins bon état sont encore visibles.
Les fouilles entreprises entre 1891 et 1909 n’ont en fait dégagé qu’un dixième des vestiges de la ville : neuf hectares restent encore à mettre au jour.

Eric Baude pour Danube-culture, © droits réservés, novembre 2023
Notes :
1 Métope : intervalle rectangulaire situé entre les triglyphes de la frise dorique, et généralement orné de reliefs. Les métopes du Parthénon. Demi-métope, portion de métope qui termine une frise, sur les monuments hellénistiques et romains. (source dictionnaire de l’Académie française).

2 Narthex : dans les premières basiliques chrétiennes, portique élevé en avant de la nef, après l’atrium, et formant une sorte de vestibule où se tenaient ceux qui n’avaient pas le droit d’accéder au lieu consacré, catéchumènes, pénitents, etc. Narthex extérieur. Narthex intérieur, séparé du naos par des portes, par une cloison.Par extension. Galerie couverte s’étendant à l’extérieur ou à l’intérieur d’une église, sur toute la largeur de la façade. Le narthex de la basilique de Vézelay. L’exonathex est une pièce réservée  aux tombeaux dans les églises et cathédrales orthodoxes. 

3 L’inscription partiellement conservée a pu être toutefois reconstituée :

 MARTI ULTOR[I]
IM[P(erator) CAES]AR DIVI
NERVA[E] F(ILIUS) N[E]RVA
TRA]IANUS [AUG(USTUS) GERM(ANICUS)]
DAC]I[CU]S PONT(IFEX) MAX(IMUS)
TRIB(UNICIA) POTEST(ATE) XIII
IMP(ERATOR) VI CO(N)S(UL) V P(ater) P(atriae)
?VICTO EXERC]ITU D[ACORUM]
?—- ET SARMATA]RUM ———————]E

Pour Mars vengeur, l’empereur César,
Fils du divin Nerva,
Nerva Trajan Augustus, qui a vaincu les Germains,
Les Daces, grand pontife,
Pour la 13e fois détenteur de la puissance tribunitienne,
Proclamé général victorieux par l’armée pour la sixième fois,
consul pour la cinquième fois, père de la patrie,
Après avoir vaincu les armées Daces
?—- et Sarmates

https://muzeedelasat.ro
https://www.romanforts.eu › en › tropaeum-тraiani

Sources :
Guide bleue Roumanie, Hachette, Paris 1966
Guey Julien. Le « Tropaeum Trajani  » est-il l’œuvre de l’empereur Valens ? À propos d’un passage de Thémistius. In: Revue des Études Anciennes. Tome 40, 1938, n°4. pp. 387-398. www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1938_num_40_4_3006

Vue sur les collines et le sommet du  trophée de Trajan (Tropaeum Traiani ) depuis la forteresse romano-byzantine, photo © Danube-culture, droits réservés

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