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La lotcă, barque emblématique du delta du Danube et la «Marangozeria»
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István Szőnyi (1894-1960)
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Ce tableau qui représente la bataille vue d’au-dessus, à vol d’oiseau, est l’une des oeuvres les plus extraordinaires de la peinture occidentale. Commande du duc Guillaume IV de Bavière (1493-1550)1 pour orner la galerie des batailles de sa résidence de Munich, peinte à Ratisbonne en 1529, l’oeuvre est conservée à l’Alte Pinakothek de Munich. Elle fait aussi partie des 105 œuvres décisives de la peinture occidentale constituant « Le Musée imaginaire de Michel Butor » (Paris, Flammarion, 2019).
Sur la cartouche au milieu des nuages se trouve l’inscription latine : « ALEXANDER M[AGNVS] DARIVM VLT[IMVM] SVPERAT CAESIS IN ACIE PERSAR[VM] PEDIT[VM] C[ENTVM] M[ILIBVS] EQUIT[VM], VERO X M[ILIBVS] INTERFECTIS. MATRE QVOQVE CONIVGE, LIBERIS DARII REG[IS] CVM M[ILLE] HAVD AMPLIVS EQVITIB[VS] FVGA DILAPSI, CAPTIS. »
Soit en français : « Alexandre le Grand vainc le dernier Darius, après que 100 000 fantassins soient tombés et 10 000 cavaliers aient été tués dans les rangs des Perses, et fait prisonniers la mère, l’épouse et les enfants du roi Darius ainsi que 1 000 cavaliers en déroute ».
Altdorfer a écrit au bas de son tableau, sur le bord inférieur :
« 1529 ALBRECHT ALTORFER ZU REGENSPVRG FECIT. »
« 1529, fait par Albrecht Altdorfer à Ratisbonne ».
Au-dessus de la gigantesque bataille le soleil se couche, de l’autre côté, une lune orientale descendante symbolisée par un croissant est brouillée par des nuages, au-dessous un arrière-plan de reliefs paysages alpins au bleu profond presque méditerranéen touche les nuages, une ville de Tarse2 aux allures gothico-bavaroise et un Nil (à droite) ayant d’étonnantes ressemblances avec le Danube.
« Un éblouissement. Du plus loin qu’on l’aperçoit, l’œuvre aspire le regard. Non l’œuvre dans sa totalité, mais sa partie haute : le ciel, l’inscription flottant dans l’air, dans son cadre qui semble soutenue comme par des ailes par deux draperies rouge et rose, et, plus que tout, le soleil, le soleil comme un œil aux paupières de nuages et de montagnes bleues. Il se couche sur la vallée de l’Issos, alors qu’Alexandre met en déroute l’armée du roi perse Darius III et fait prisonnière la famille de ce dernier. »
On peut sans hésitation considérer Albrecht Altdorfer (vers 1480-1538), artiste de la Renaissance allemande original et précurseur encore trop méconnu et parfois présenté comme un disciple d’Albrecht Dürer (1471-1528), comme le peintre emblématique d’un mouvement pictural spécifique du XVIe siècle dénommé par la suite « École du Danube », au sein duquel les paysages sauvages, ces « paysages du monde », mis en scène et aux perspectives et à la profondeur infinies, semblables à ceux de la vallée du Haut-Danube et des Alpes occupent à la fois une place autonomes prépondérante dans de nombreuses oeuvres. Altdorfer s’émancipe des canons de la représentation du paysage jusque là en vigueur.
Né en Bavière, probablement à proximité de Ratisbonne (Regensburg), Altdorfer s’installe à Ratisbonne et en devient citoyen en 1505. Il entreprend un voyage sur le Danube en 1515 après avoir gravé plusieurs oeuvres pour l’Empereur du Saint Empire romain germanique Maximilien de Habsbourg (1459-1519).
Sarmingstein sur le Danube, encre sur papier, 1511. Altdorfer rend compte avec ces rochers qui se dressent jusqu’au ciel de l’étroitesse du défilé de la Strudengau. Au milieu du fleuve deux embarcations qui semblent perdues dans le paysage.
Du voyage sur le Danube ont été conservés plusieurs dessins et petits tableaux de paysage qui préfigurent la place du paysage et de la nature dans les oeuvres ultérieures du peintre, sans doute impressionné par l’environnement danubien encore intact de la Haute-Autriche. En 1518, il est chargé de peindre le Retable de Saint-Florian pour l’abbaye du même nom, retable malheureusement aujourd’hui dispersé dans plusieurs endroits.
Devenu un notable de sa ville, il va siéger ultérieurement au Grand Conseil tout en poursuivant ses activités officielles de peintre, de graveur et de dessinateur. Altdorfer dessine en 1519 les plans d’une église dont la construction est prévue sur les ruines de deux synagogues détruites et semble avoir joué un rôle important dans l’expulsion des Juifs de la cité à cette époque de guerre civile. Peut-on parler alors d’un peintre « humaniste » ? Nommé architecte de la ville en 1526, il contribue à l’aménagement de sa ville et de ses remparts mais en 1528, refuse de prendre la charge de bourgmestre pour ne plus se consacrer qu’à son travail artistique. Il commence cette même année ce qui deviendra son plus célèbre tableau « La bataille d’Alexandre », commande du duc Guillaume IV de Bavière (1493-1550), tableau qui se trouve aujourd’hui à l’Alte Pinacothek de Munich.4 Il meurt en 1538. De l’ensemble de son oeuvres ont été conservés une cinquantaine de tableaux et 250 gravures.
« Dans ses paysages, Altdorfer transpose la réalité sur un plan poétique et lyrique, qui semble inspirer un sentiment plus vif d’union avec la nature. Ce n’est pas un hasard si, dans l’une de ses premières peintures, Altdorfer choisit le thème, à peu près inconnu dans le Nord à l’époque, de la Famille du satyre, qui à la suite des « hommes sauvages » du Moyen Âge, symbolise les forces obscures de la nature et de l’instinct. Dans le petit panneau du Saint Georges de 1510, où la lumière ne pénètre que parcimonieusement, comme tamisée par l’épais feuillage, on peine quelque peu à trouver le saint à cheval et plus encore son monstrueux adversaire qui semble faire partie intégrante de cette forêt proliférante. Ses tableaux religieux se distinguent par des recherches d’éclairage créant une atmosphère surnaturelle.
Le retable de Saint-Florian avec en arrière-plan la petite cité d’Enns, les paysages alpins où l’Enns prend sa source, huile sur bois, 1518/1520
Dans le grand Retable de Saint-Florian (Haute-Autriche), terminé en 1518/1520, Altdorfer s’y révèle un esprit tourmenté, visionnaire, créateur d’atmosphères violemment contrastées, où la nature tout entière amplifie le drame de la Passion qui s’y joue, lui donnant sa dimension de drame cosmique. Dans des couleurs éclatantes, les personnages se détachent cette fois sur des paysages ou des architectures puissamment éclairées, à divers moments du jour ou de la nuit. L’historien d’art Otto Benesch a fait remarquer que les peintures d’Altdorfer datant de cette période sont parmi les premières à représenter un univers convexe, héliocentrique, dans lequel la Terre n’est plus le centre du monde ; l’art dévoile ainsi, par ses moyens propres, la révolution scientifique à laquelle Copernic travaillait au même moment. »
On lira également au sujet d’Albrecht Altdorfer le chapitre consacré à l’ « École du Danube » par Patrick Leigh Fermor dans son livre Dans la nuit et le vent, Le Temps des offrandes, Entre fleuve et forêt et La Route interrompue (préface et traduction française entièrement revue et complétée de Guillaume Villeneuve), publié aux éditions Nevicata, 2016.
Eric Baude, © Danube-culture, droits réservés, mis à jour janvier 2023
Eric Baude, © Danube-culture, droits réservés, novembre 2020