Le proto-Danube

   L’histoire géologique du Danube n’est pas l’histoire d’un long fleuve tranquille. Celui-ci a d’abord été une succession interrompue de cours d’eau qui reliaient entre eux des lacs situés alors dans les bassins d’affaissements subalpins et intra-alpins. Sa forme actuelle, dont les aléas de ses ruptures de pentes, d’une succession de bassins de plus en plus amples, de ses brusques changements de direction et de ses nombreux méandres n’en sont que les plus visibles des illustrations, est liée à la présence d’une zone géologique instable et parcourue de violents mouvements tectoniques jusqu’au Quaternaire1 et qui se poursuivent aujourd’hui. Ce sont ces mouvements tectoniques qui ont dessiné et bouleversé les bassins hydrographiques du versant septentrional des Alpes et modifié considérablement le cours du Danube supérieur.  

Le proto-Danube : un fleuve récent dans l’histoire de la terre

   Le proto-Danube (Ur-Donau en allemand), l’ancêtre du Danube actuel, est un cours d’eau qui apparaît au cours du Pliocène (env. 5,332 – env. 2,588 millions d’années), c’est-à-dire à la fin de l’époque tertiaire. Les couches supérieures du continent européen s’étant stabilisées au début de cette ère, la situation permettra ensuite aux systèmes fluviaux de se dessiner peu à peu. Un fleuve, le proto-Danube, se forme. Il prend sa source dans le massif de l’Eiger (Suisse). Ce fleuve de l’ère tertiaire draine alors au sein de son bassin toutes les eaux du massif alpin en direction de l’ouest, Rhin, Neckar et Main originels compris.
   Mais un énorme bloc du globe terrestre va s’écrouler au nord des Alpes et l’imposant bassin du proto-Danube se démantèle, perdant définitivement ces trois affluents au profit des bassins voisins. Ces bouleversements volcaniques et le nouveau relief qu’ils engendrent séparent définitivement le Danube du haut-Rhône valaisan et du Rhin. Non seulement ce dernier fait sécession mais il entraine avec lui le Neckar et le Main et d’autres cours d’eau secondaire. Un plateau récemment formé au nord de la Forêt-Noire devient le nouveau bassin du Danube. Durant l’Éocène (deuxième période du tertiaire), le cours du Danube change de direction et s’oriente vers l’est. Son itinéraire est beaucoup plus réduit que celui d’aujourd’hui car le fleuve, après quelques centaines de kilomètres, se jette dans l’immense océan préhistorique de Téthys qui recouvre de vastes parties de l’Europe du Sud-Est et du Proche-Orient.

La mer de Parathétis. La limite entre les périodes Eocène (env. 56/env. 33, 9 millions d’années) et Oligocène (env;33, 9 – env. 23, 03 millions d’années) est caractérisée par une baisse brutale du niveaux des océans en raison d’un refroidissement climatique qui affecte l’ensemble du globe, au même moment se produit l’orogenèse alpine qui engendre la surrection des Alpes, des Carpates et de nombreux autres massifs. Crédit Université d’Utrecht, droits réservés

 C’est dans un des bras de cette mer, nommé mer Sarmatique2 (ou mer Paratéthys), que le proto-Danube débouchait aux alentours de la Vienne actuelle. Son delta ne cessera ensuite de se déplacer vers l’est pendant des millions d’années au fur et à mesure que la mer Sarmatique reculera.

Le proto Danube en bleu et la mer de Paratethys (mer Sarmatique) entre 17 et 13 millions d’années.

   La géologie du continent européen se modifie encore une fois sensiblement à l’ère quaternaire. Les glaciers vont s’étendre irrésistiblement de la Scandinavie aux Alpes. Les gigantesques masses de moraine glaciaire que leurs mouvements entrainent en direction du Danube sont prises en charge par le fleuve, qui les transporte vers l’est. Les plaines panoniennes émergent. Au même moment les forces tectoniques font surgir de nouveaux reliefs, les Alpes orientales et les Carpates ou encore les montagnes de Hongrie centrale. Tous les cours d’eaux de ces reliefs rejoignent le proto-Danube et lui permettent de repousser le delta de la mer Sarmatique toujours plus au sud-est.

  Avant le développement du Danube jusqu’au Miocène supérieur : un chenal de sable gris, large de plusieurs kilomètres est le chenal de drainage vers l’ouest, du Main jusqu’aux Alpes, pour les régions situées entre certaines parties de la masse bohémienne et la mer résiduelle occidentale de Parathetys. Premier développement du proto-Danube au Miocène supérieur : « Aare-Danube ». Des impulsions de soulèvement et des basculements conduisent à la formation d’un proto-Danube qui, sur un relief plat encore extrémement plat, draine également désormais vers le sud-est et sur des kilomètres de large, la zone de source des Alpes centrales suisses, y compris les contreforts. Déviation de l’Aar-Doubs au Pliocène moyen, le « Feldberg-Danube » : Le bassin versant des Alpes suisses et des contreforts a été perdu. Il ne reste plus que les énormes quantités d’eau glaciaire du Rhin et du Feldberg. L’histoire fluviale du « Feldberg-Danube » comprend également des affluents considérables à l’époque, une Proto-Eschach (aujourd’hui Prim (Neckar) et Faulenbach (Danube) drainant la Forêt-Noire,  la « Canstatter – et la Tübinger proto-Lone » et la Proto-Brenz. Les dernières rivières du Jura souabe, la Bära, la Schmiech/Schmeie, la Fehla/Lauchert, la Grosse Lauter et la Brenz, qui traversent aujourd’hui encore presque entièrement en surface le Jura souabe fortement karstifié, sont des chenaux d’eau très anciens qui, à la fin du Pliocène, drainaient vers le Danube les terres étagées, encore peu élevées, qui s’étendaient sur plusieurs kilomètres vers le nord. Les cols de l’actuelle Albtrauf, les sections de vallées asséchées depuis longtemps jusqu’aux sources karstiques des petites rivières, ainsi que les dimensions énormes des vallées fluviales (généralement des états postglaciaires, pléistocènes) en témoignent encore. Lutte entre le Rhin et le Danube : évolution postglaciaire. Depuis l’important approfondissement du fossé du Rhin supérieur et l’érosion rapide et régressive du Rhin, le détournement du Rhin alpin danubien (Haute-Souabe) vers le lac de Constance et le Haut-Rhin, la zone d’influence du Danube, s’est encore réduite au profit du Rhin : La déviation de la Wutach a asséché le lien Feldberg-Danube-Haut-Danube (vallée sèche de l’Aitracht), les infiltrations actuelles du Danube à Immendingen-Tuttlingen-Fridingen, font que le tronçon du Danube à partir de la Breg et de la Brigach, est également perdu hydrogéologiquement au profit du Rhin. Redessiné avec les données de base du LGRB.
Sources Wikipedia mons.wikimedia.org/w/index.php?curid=63496494

Le Haut-Danube
   « Le Danube souabe a en effet perdu les apports du Rhône valaisan, de l’Aar (affluent de la rive gauche du Rhin), du Rhin alpin qu’il évacuait encore au Tertiaire supérieur vers les mers sarmatiques : au Pliocène, les deux premiers se sont déversés vers la Saône avant de se diriger, le premier vers Lyon, le second vers le fossé rhénan, tandis que le Rhin supérieur prenait sa direction actuelle au Mindel-Riss, c’est-à-dire à l’avant-dernière période glaciaire, conséquence de la subsidenceaffectant la zone du lac de Constance, de l’affaiblissement du fossé rhénan et des accumulations qui ont fermé la Porte de Bourgogne et provoqué des déversements vers le nord. Les captures karstiques4 au profit de l’Aach, affluent du lac de Constance, qui mettent le Haut-Danube à sec à Immendingen durant les étiages estivaux5 et lui enlèvent la moitié de son débit annuel moyen, montrent que la situation est toujours évolutive. Héritier des rivières qui se jetaient au Néocène dans la mer bavaroise et dont il a ensuite, en s’installant sur le revers du Jura souabe, collecté les eaux en direction du bassin de Vienne longtemps occupé par la mer, le Haut-Danube a été d’autre part victime, jusqu’à la glaciation würmienne6 contemporaine de l’homme, de captures provoquées par l’extension des glaciers quaternaires sur le Jura souabe et par l’ennoyage des vallées par les débris d’accumulation fluvio-glaciaire et de gélivation7 péri-glaciaire qui ont alors entravé son écoulement, au profit des affluents du Rhin moyen qui travaillaient dans des conditions normales8 ; la ligne de partage des des eaux, primitivement située sur un axe Pforzheim-Bamberg, s’est ainsi retrouvée repoussée vers le sud-est ; l’Altmühl9 et le Haut-Danube, subsistant seuls de l’ancien réseau hydrographique, sont ainsi investis par les eaux de drainage du Rhin bâlois, du Neckar et du Main et constituent une sorte de bassin croupion perché à des altitudes avoisinant 600 m, en position précaire vis-à-vis du lac de Constance et du fossé rhénan situés respectivement à 395 m et entre 220 et 110 m d’altitude. Le bassin ne reprend de l’ampleur qu’avec les affluents originaires du versant septentrional des Alpes bavaroises et autrichiennes. Le fleuve suit d’abord une direction est-nord-est qui correspond à la pente générale du Jura souabe, avant de s’infléchir vers l’est-sud-est au contact du Bayerischer Wald10, soulevé au Néogène comme les autres bordures du massif de Bohême.
   La jonction avec le cours moyen s’est faite à partir de la fin du Miocène, en liaison avec le retrait de la mer pannonienne11 hors du bassin de Vienne qui, en abaissant le niveau de base, a provoqué le creusement de gorges épigéniques néogènes établies dans des structures complexes auparavant noyées sous des dépôts notamment à travers le rebord méridional du massif bohémien. Le Danube s’est ainsi installé dans la dépression périalpine et dans la fosse morave où les terrasses qu’il a constituées, paraissent correspondre aux alternances d’érosion et de remblaiements liés aux glaciations ; il empruntait jusqu’à la fin du Pliocène inférieur le seuil de Bruck12 avant de suivre le tracé actuel entre les monts Leitha et les Petites Carpates, vraisemblablement à la suite de péripéties glaciaires ou postglaciaires.

Le Moyen-Danube
   Le moyen-Danube s’est établi dans la zone d’effondrement interne de l’arc montagneux formé par les Alpes et les Carpates dont l’affaissement semble toujours se poursuivre depuis le début du Tertiaire avec un maximum d’intensité au Miocène et au Pliocène, mouvement qui a provoqué le rejet des accidents tectoniques hercyniens et l’exhaussement des horsts transdanubiens (monts Leitha et Petites Carpates, monts Bakony, Vertès…) qui barrent le bassin pannonien, exondé seulement au cours du Pliocène supérieur et du Quaternaire et dont la rapide subsidence a provoqué des accumulations considérables, d’abord marines puis lagunaires et lacustres, enfin fluviatiles et éoliennes.
   Les sédiments du Danube, de son affluent le Raba (Raab) et d’autres cours d’eau alpins et carpatiques ont comblé sur des épaisseurs de 100 et 200 m la cuvette du Kisaföld hongrois et de son pendant slovaque, les mouvements tectoniques de l’axe transdanubien ayant détourné le fleuve vers la cluse de Visegrád creusée à travers des reliefs volcaniques et qui ferme la plaine où plusieurs niveaux de terrasses ont été édifiées depuis le Pléistocène supérieur. Le Grand Alföld, dans la partie oriental du bassin pannonien où l’affaissement a atteint sa plus plus grande amplitude et se poursuit actuellement, a été constitué par l’accumulation des dépôts de la mer pannonienne, puis par le comblement de celle-ci, coupée au cours de la seconde moitié du Pliocène de la mer Noire avec laquelle elle communiquait par le détroit des Portes-de-Fer à la suite d’un relèvement des bordures du bassin, et devenue alors une étendue lagunaire peu profonde analogue à la mer Caspienne. Les dépôts fluviatiles et continentaux quaternaires s’y sont alors déposés sur plusieurs centaines de mètres, 1 000 m même dans la région de Szeged où l’affaissement est le plus ample, expliquant l’orientation méridienne du réseau hydrographique et le coude effectué à la sortie de la cluse de Visegrád par le Danube qui, charriant des matériaux plus abondants que la Tisza, s’est déversé à plusieurs reprises dans cette dernière dans une zone mal drainée et de très faible pente. Ces dépôts couvrent toute l’étendue du bassin et descendent au-dessous du niveau actuel du défilé des Portes-de-Fer dont l’entaille est récente, peut-être en relation avec un ralentissement de l’affaissement13, et dont la réouverture a provoqué une reprise d’érosion, marquée par des vallées entaillées dans quatre niveaux de terrasses ou dans des accumulations de loess. Au contact des collines de la Fruška Gora, élément dinarique avancé, le Danube reprend une direction sud-est, rejoignant la Tisza et la Save. 

Le Bas-Danube
   En aval des Portes-de-Fer où il franchit la chaîne des Carpates méridionales et des monts Balkans, le Bas-Danube pénètre dans le bassin
gétique, nouvelle zone d’effondrement occupée au Miocène par la mer Sarmatique qui a ensuite perdu ses communications avec la Méditerranée, faisant place, elle aussi, à un régime de mer s fermées, de lagunes puis de lacs qui a persisté jusqu’au Quaternaire et a contribué à la formation du réseau hydrographique actuel. La fosse moldo-valaque qui en constitue une grande partie est « un véritable géosynclinal actuel »14 entre les Carpates, la table russe et l’ancien massif hercynien disloqué et enfoui sous la mer Noire dont ne subsistent que le plateau bulgare et la Dobrogea. La subsidence, encore active, est considérable puisque le crétacé affleurant à + de 20 m sur la rive droite du Danube, se retrouve à 3 000 m de profondeur à proximité des Carpates ; elle atteint son maximum dans le Baragan, à la jonction de la Moldavie et de la Valachie, et explique, conjointement avec les effets de la transgression flandrienne, la convergence hydrographique de la zone Brǎila-Galaţi ; des accidents tectoniques marquent d’autre part le long du Danube le contact entre la Valachie d’une part, et la Dobrogea et le plateau bulgare de l’autre, de même que la faille du Siret, affluent de la rive gauche, est à l’origine du coude brusque que fait le fleuve en direction de la mer Noire.
   Le delta lui-même a occupé à l’époque historique, un ancien golfe marin, déjà isolé à l’époque préhistorique par des cordons littoraux et colmaté ensuite par alluvions fluviales qui progressent le long des bras ; cette accumulation de 30 à 175 m d’épaisseur paraît due conjointement à la sédimentation, à la transgression flandrienne et ainsi qu’à l’affaissement du sol. » 

Jean Ritter, « Le fleuve, I. La formation du Danube » in Le Danube, Presses Universitaires de France, collection « Que sais-je ? », Paris, 1976

Cette histoire géologique récente et mouvementée et qui se poursuit encore de nos jours, a engendré une grande variété d’éléments naturels, des ruptures de pentes et une succession de bassins s’élargissant vers l’aval et entrecoupés par des défilés dont le dernier et le plus impressionnants d’entre eux, les Portes-de-Fer, sépare le bassin versant en deux parties fondamentalement distinctes.

Notes :
1Le quaternaire a débuté il y a environ 2, 6 millions d’années, avec l’apparition de l’homme, dont les ancêtres (famille des hominidés) sont apparus et ont évolué durant le tertiaire. Il se poursuit aujourd’hui. On distingue deux périodes au cours du quaternaire : la première correspond au cycle glaciaire, c’est le Pléistocène, la seconde, l’Holocène correspond au cycle postglaciaire actuel.
2 La mer Sarmatique (Paratéthys) couvrait une région qui s’étendait au Miocène de puis les Alpes jusqu’à la mer d’Aral en Asie centrale. Paratéthys se divise en plusieurs mers sarmatiques durant le Pliocène qui finissent par ne plus être reliées entre elles. Le lac pannonien du Balaton est le dernier témoin hydrographique de la présence de cette gigantesque surface maritime.
3 La subsidence est un lent affaissement de la surface de la croûte terrestre  Elle offre ainsi un espace pour le dépôt progressif et la préservation de sédiments sur de grandes épaisseurs. Elle peut être d’origine tectonique ou thermique.
4 Action de l’eau qui s’infiltre dans le sous-sol de certaines régions. Cette eau va dans un premier temps dissoudre la roche puis dans un second temps, redéposer cette matière dissoute en créant des formations caractéristiques.
5 Périodes de basses-eaux qui ne se situent pas forcément, comme pour le Danube, en été.
6 Glaciation du quaternaire dans les régions alpines dont la durée s’étend environ d’env. 80 000 ans à env. 10 000 ans (115 000 à 11 700 selon d’autres sources) avant notre ère.
7 Ensemble des processus périglaciaires de dégradation des roches ou de déformation des sols dus à des cycles de gel-dégel de l’eau contenue dans les sols.
8 Jean Tricart, Georges, Pierre, L’Europe centrale, voir sources
9 Affluent de la rive gauche du Haut-Danube
10 Vieux massif montagneux de la Forêt-Bavaroise
11 À l’ère tertiaire la plaine panonienne était encore une mer reliée à l’océan préhistorique. Elle situe au centre et au sud-est de l’Europe et elle est traversée par le Danube qui en sort avec difficulté par les fameuses Portes de Fer roumano-serbes, entre Carpates et Balkans.
12  À l’est de l’Autriche actuelle
13 Jean Tricart, Georges, Pierre, L’Europe centrale voir sources
14 Idem
Sources :
Ritter, Jean, Le Danube, Presses Universitaires de France, collection « Que sais-je ? », Paris, 1976
Treichler, Hans-Peter, Le Danube, photos de Georg Stärl, Éditions Mono, Lausanne, 1983
Tricart, Jean, Georges, Pierre, L’Europe centrale, P.U.F., collection « Orbis », Paris, 1954
https://fr.wikipedia.org › wiki › Paratéthys
https://fr.wikipedia.org › wiki › Pliocène
https://www.urdonautal.info

Danube-culture pour la traduction et l’adaptation en français, © droits réservés, mis à jour janvier 2024

Retour en haut de page